samedi 11 janvier 2020

L'Histoire des dynasties franques qui échouèrent à ranimer durablement les cendres glorieuses de Rome...



Propos préliminaire :
Le fait initial des invasions.
La disparition du centralisme impérial.
La persistance d’une culture romano-chrétienne.

Avant d’évoquer la chute de l’Empire romain d’Occident, qui, au fond, n’en est qu’une des conséquences, il faut savoir que l’élément le plus important du Haut Moyen-Âge est incontestablement l’invasion. C’est « le fait initial » de toute la période qui s’étend de la fin du 4èmesiècle, disons, jusqu’à l’avènement de Charlemagne, à l’aube du 9ème siècle. La société pluraliste du Haut Moyen-Âge découle directement des « invasions barbares », c’est-à-dire de l’arrivée de ces tribus germaniques d’Europe centrale qui, poussées vers l’ouest par les Huns d’Attila, ont pénétré sur le territoire de l’Empire et envahi ses provinces occidentales, au premier rang desquelles, la Gaule. 
Précisons d’emblée qu’il ne faut pas entendre invasion au sens militaire du terme, du moins pas exclusivement. Par « invasion », il faut entendre plus largement la « rencontre » ou l’interpénétration entre des cultures différentes. D’un côté, la culture romano-chrétienne et d’un autre côté, celle germanique, très différentes l’une de l’autre. D’ailleurs, c’est cette profonde différence de culture qui explique le qualificatif de barbares. Les « barbares » ne désigne pas des tribus forcément arriérées, mais tout simplement des peuples qui ne sont pas de culture romaine et/ou n’ont pas de culte chrétien. 
De plus, comme on le verra dans le cas particulier des Francs, les invasions ne sont pas nécessairement synonymes de guerre de conquête. Les Barbares franchissent la frontière de l’Empire, entrent dans l’« orbis romanus » souvent en suppliant d’être rattachés à cette romanité qu’ils admirent, en tant qu’alliés, auxiliaires (même si c’est, pour finir, ce qui a leur a permis de « noyauter » cet Empire en même temps qu’ils exerçaient une pression extérieure). D’ailleurs la politique de Rome a largement favorisé cette évolution. Les romains ont très vite compris qu’ils parviendraient pas à civiliser, dans le sens de « latiniser » les tribus germaniques chez elles. Il fallait les intégrer à l’Empire et c’est tout le sens de la technique de l’hospitalitas qui accueille les Barbares faute d’avoir pu les écarter, en leur imposant le respect de la « pax romana ». L’Empire s’est souvent servi des Barbares latinisés pour lutter contre les vagues successives d’invasions qui faisaient ployer ses frontières. Dans ces « grandes invasions », c’est donc la nécessité et le pragmatisme qui ont dicté les solutions. Le besoin de se trouver un nouvel habitat pour les Barbares, et le besoin de sécurité pour les gallo-romains. Il n’y a « aucune haine, aucune opposition ethnique, aucun fanatisme religieux ». Les rapports entre gallo-romains et barbares se sont tous réglés au cas par cas, tantôt dans la violence des villes assiégées, tantôt dans l’accord des barbares fédérés ou « hospitalisés ». Ces éléments ont composé beaucoup plus qu’ils ne se sont opposés. 
Mais, inexorablement, l’équilibre des pouvoirs finit par basculer en faveur de ces nouveaux éléments germaniques. C’est la décadence des cadres politiques romains, beaucoup plus que les prétentions militaires des Barbares, qui a permis à ces derniers de se comporter de moins en moins en auxiliaires, et de plus en plus en maîtres, certains allant jusqu’à assumer la titulature impériale, pour perpétuer le souvenir de Rome. 

L’Empire romain d’Occident ne chute pas, d’un seul coup, en 476. C’est une contre-vérité historique dont il faut vous délivrer. La date est pratique mais ne reflète pas la réalité. L’instabilité commence dès la fin du 4ème siècle, lorsque les Ostrogoths (Goths de l’Est) pénètrent sur le territoire de l’Empire et forcent celui-ci à les installer en Thrace (entre le Grèce et la Turquie) avec le titre de « peuple fédéré ». Puis, au début du 5ème siècle, les Wisigoths (Goths de l’Ouest) sous le commandement d’Alaric pillent Rome le 24 août 410, avant d’être repoussés en Espagne et de s’installer au sud-ouest de la Gaule. Ce « sac de Rome » est une date significative en ce qui concerne la chute de l’Empire romain d’Occident. On peut également évoquer les pressions exercées par les Vandales et les Burgondes qui s’incrustent dans le territoire de l’Empire, en Allemagne et en Alsace. 
L’année 451-452 est une autre date fondamentale, puisqu’elle voit l’irruption en Gaule des Hunsmenés par Attila. Les tribus barbares fédérées, Wisigoths, Burgondes et Francs, luttent aux côtés des généraux romains et parviennent à repousser l’ennemi lors de « la bataille des Catalauniques ». Attila recule mais ravage l’Italie. Rome, complètement saignée à blanc, ne peut plus assumer son rôle impérial, ni contrôler les déplacements des Barbares en Gaule. Ainsi, les Francs s’établissent en Belgique, les Burgondes s’installent entre le Rhône et la Saône et les Wisigoths consolident leur position en Aquitaine. 
En 476, dernier acte d’une chute annoncée, Odoacre, le roi des Hérules, une tribu de Scandinavie, détrône Romulus Augustule, dernier empereur romain d’Occident et renvoie ses insignes impériaux à Byzance. Dès lors, aux côtés des Ostrogoths de Théodoric, il occupe l’Italie. 

Il reste qu’en dépit de ces invasions germaniques, on assiste à la persistance d’une culture romano-chrétienne qui va permettre la réorganisation politique de la Gaule et, de l’autre côté de la féodalité, l’enracinement d’une monarchie construite sur des notions politiques et spirituelles héritées de l’Empire romain d’Occident. Cette survivance de la culture latine s’explique essentiellement par l’admiration que la plupart des Barbares vouaient aux structures impériales et à la civilisation romaine. Elle s’exprime surtout, durant le Haut Moyen-Âge, par le rôle fondamental joué par l’Eglise(catholique, apostolique et romaine) dans l’unification politique de la Gaule sous la férule d’un guerrier Franc qui sut faire les bons choix politiques : Clovis

Même si l’on distingue généralement une souche gallo-romaine et plusieurs apports germaniques, déjà évoqués, du point de vue de l’histoire politique et institutionnelle, la plus importante des populations qui s’agitent et se combattent sur le territoire de la Gaule romaine, aux alentours de 476 ap. JC, est celle des Francs. La première pénétration sur le territoire de l’Empire romain de cette peuplade germanique, originaire de l’Est du Rhin, intervient au 3e s. ap. JC, soit bien avant la chute de sa partie occidentale. Les Francs franchissent le Rhin pour la première fois en 275
Au début du 4e s., l'Empereur Constance II parvient à imposer la Paix aux francs et incorpore une partie d'entre eux à l'Empire. De là, nait la division entre les Francs Saliens, qui se situent dans le nord de la Gaule romaine, et les Francs Ripuaires, qui se trouvent sur la rive droite du Rhin, hors de l’Empire. Les chocs répétés entre romains et francs, finissent par produire un phénomène d'osmose. 
De tous les peuples barbares qui vont envahir, par le jeu des migrations répétées et suite aux invasions hunniques, l'aire géographique qui allait devenir la France plus tard, les Francs Saliens sont celui qui va devenir le plus proche allié des gallo-romains. Ils se battirent aux cotés des romains, contre les autres peuples germaniques et même contre les Huns d’Attila. Ils s’établissent près de la ville de Tournai. 
Après 457, tout ce qui est romain en Gaule se regroupe autour du général Egidius, qui dirige la défense des villes romaines sur les rives du Rhin. Cette romanité lutte contre les francs ripuaires (toujours installés sur la rive gauche du Rhin) avec l’appui des Francs Saliens, auprès desquels, elle jouit d'un grand prestige. 
Egidius fait alliance avec le roi des Francs Saliens de Tournai, Childéric et, grâce à son aide, il bat les Wisigoths à Orléans. A la mort d'Egidius, en 464, son successeur le comte Paul maintient cette alliance et combat à nouveau les Wisigoths avec l'aide de Childéric. Après Paul, le dernier représentant de la puissance romaine en Gaule, est le général   Syagrius, installé à Soissons. Il entretient de bonnes relations avec Childéric qui continuera de jouer la « carte » romaine jusqu'à la fin de son règne. Mais l’Empire romain d’Occident sombre en 476 et, à la succession de Childéric, en 481, la donne géopolitique a changé. Son fils, Clovis, fera des choix différents. 
La situation géopolitique en Gaule est la suivante (distribuer aux étudiants la carte schématique et la commenter avec eux) :



1 - La « capitale » des francs saliens est Tournai, sous le règne de Clovis. 
2 - Les francs dits « ripuaires » sont sur les rives du Rhin. 
3 - Les vestiges de l'empire se concentrent, autour de Soissons, sous le commandement du général Syagrius.
4 - Les Wisigoths contrôlent l'Aquitaine, sous le commandement d'Alaric.
5 - Les Burgondes possèdent la région rhodanienne et la plaine du Rhône, sous le commandement du roi Gondebaud.
6 - Les Alamans ont une petite région à l'est, vers le Rhin et Vienne.
7 -Les Ostrogoths ont l'Italie, sous le commandement de Théodoric et avec l'assentiment de l'empereur d'Orient, Anastase.
â  Voyons à présent, comment Clovis a « construit » le royaume de France, à la fois par la force militaire et l’intelligence politique, en tirant profit d’un contexte religieux très particulier. 

— le contexte religieux en Occident à la naissance de Clovis

On distingue principalement trois éléments : le paganisme qui est la marque de nombre de tribus germaniques, dont les Francs saliens et ripuaires, le christianisme qui est la religion tutélaire des gallo-romains et l’arianisme qui est une variante du christianisme adoptée par certaines des peuplades germaniques qui ont été en contact avec la partie la plus orientale de l’Empire où elle s’était répandue, dont les Burgondes et les Wisigoths.
Le moins connu est l’arianisme. Considérée comme une hérésie par l’Eglise catholique, cette doctrine religieuse marginale a été professée par un prêtre d’Alexandrie, Arius qui vécut entre 256 et 336. Bien qu’il acceptât la trinité chrétienne, Arius niait la divinité du Christ qui ne bénéficiait pas, selon lui, de la vie éternelle, n’étant que le fils mortel de Dieu. 
En ce qui concerne les cultes païens, ceux-ci étaient, pour la plupart, des polythéismes (plusieurs dieux) teintés d’animisme hérité des origines (divinisation des forces de la Nature). Rappelons ici qu’il n’y a aucune unité entre les paganismes, le terme ayant été inventé par les chrétiens pour désigner ceux qui n’étaient pas comme eux. Le mot « paganisme », comme le mot « barbare » procède d’une définition a contrario, assez réductrice. 
Quant au christianisme, c’est le culte le plus répandu sur l’ancien territoire de l’Empire et il bénéficie de la protection de la dernière « grande puissance » internationale de l’époque, après la chute de Rome, l’Eglise catholique. Or, celle-ci se cherche justement de nouveaux appuis politiques. 
L’enjeu territorial que représente la Gaule est considérable pour l’Eglise car sa population gallo-romaine, profondément chrétienne, vit pourtant, dans sa grande majorité, sous la domination politique des Barbares : à l’exception des « restes » de l’autorité romaine, au nord-ouest, la Gaule est occupée par les Francs, les Burgondes et des Wisigoths. Ces derniers, tenants de l’arianisme, pratiquent même des persécutions à l’encontre des gallo-romains qui osent revendiquer leur foi catholique. De toute évidence, l’Eglise ne peut « traiter » avec ces Burgondes et ces Wisigoths hérétiques qui, même s’ils revenaient sur leur erreur spirituelle, resteraient à jamais souillés par leur ancienne attitude. Le seul interlocuteur envisageable de l’Eglise, si l’ont fait abstraction des généraux romains affaiblis, c’est Clovis, le roi de Francs Saliens qui contrôlent le nord-est de la Gaule. C’est certes un païen, mais il ne pratique par les persécutions et connaît, par son père Childéric, la culture romaine. Si l’Eglise parvient à le convaincre de se convertir au catholicisme, elle disposera alors à nouveau d’un guerrier capable de la défendre. Á l’inverse, il semble que Clovis ait tout intérêt à opérer une alliance avec l’Eglise car celle-ci contrôle, via les églises et le clergé local, les comportements des populations gallo-romaines. Voyons ici quelles sont les étapes du rapprochement entre l’Eglise et Clovis qui se cristallise et s’officialise avec le baptême du roi des Francs en 496.

— le baptême de Clovis et l’alliance politique avec l’Eglise

La première étape pourrait ressembler à un « fausse note », une grave erreur d’appréciation, car les Francs saliens de Clovis, en 486, s’en prennent non aux Burgondes ou aux Wisigoths, mais à la partie romaine de la Gaule, attaquant la ville de Soissons, capitale du général romain Syagrius. La victoire de Clovis est rapide et incontestable et il contrôle bientôt tout le nord de la Gaule
Sans doute l’Eglise et Byzance, qui ont choisi Clovis comme champion, ont hésité à ce moment-là et envisagé de s’en détourner. Mais Clovis commet alors un acte d’une grande importance et qui prouve son respect de la romanité et de l’Eglise. C’est « l’épisode du vase de Soissons », maintes fois raconté, teinté de légende. Lors du partage rituel du butin, après la conquête de la ville, l’un des guerriers de Clovis s’attribue en partage un vase liturgique appartenant à la cathédrale de Soissons. L’evêque de la ville demande à Clovis d’intercéder auprès de son guerrier pour récupérer cet objet sacramentel ; mais refusant d’obéir à son roi, considérant que le droit de partage est bafoué, ledit guerrier préfère briser le vase plutôt que de le rendre. Selon Grégoire de Tours, historien chrétien, quelques années plus tard, lors d’un passage en revue de ses troupes, Clovis reconnaît le guerrier récalcitrant et lui assène un coup de francisque sur la tête, ce qui le tue net, en s’écriant : « Ainsi as-tu traité le vase de Soissons ». Au-delà de la légende, au-delà de la notion de vengeance privée, typiquement germanique, on doit y voir, la marque du respect du roi franc pour les possessions et les symboles de l’Eglise catholique et pour la culture romaine. C’est le signe avant-coureur d’une alliance entre Clovis et la Papauté en quête d’un défenseur. 
La deuxième étape est celle du mariage de Clovis avec la princesse Clotilde en 491. Ce mariage, là encore, du point de vue politique, n’a rien d’anodin. En effet Clotilde est une princesse burgonde, nièce du roi Gondebaud. 
Toutefois, à l’inverse de son oncle et de la majorité des Burgondes, Clotilde est catholique. Son mariage avec Clovis, qui pourrait se limiter à une alliance diplomatique, est célébré par l’évêque Saint-Rémi de Reims. Une fois encore, la présence de l’Eglise catholique est évidente. On retrouve le rôle christianisateur de la femme mis en avant par la plupart des médiévistes dont Duby. Car, à compter de ce mariage, le rapprochement entre Clovis et l’Eglise se fait inévitable. 
L’étape suivante est celle de la bataille de Tolbiac contre les Alamans, dans l’année 496, au sujet de laquelle Clovis aurait fait une promesse à Clotilde. Si le Dieu de Clotilde lui offre la victoire, il promet de se convertir au catholicisme. Or, en 496, Clovis, après avoir manqué de perdre, remporte une victoire écrasante sur les Alamans. Respectant sa promesse, il se fait immédiatement baptiser par l’archevêque Saint-Rémi de Reims avec trois mille guerriers. 
Le lien spirituel entre l’Eglise et Clovis vient de naître et il se double immédiatement d’un lien politique. Il s’agit même, d’une certaine manière, d’une « symbiose », c’est-à-dire, de l’association réciproquement profitable de deux organismes. L’Eglise y gagne un défenseur et une puissance politique qu’elle pourra aisément contrôler ; de ce point de vue Clovis est l’archétype du « roi très chrétien ». Le roi franc, quant à lui, y trouve l’appui administratif de l’Eglise et le soutien inconditionnel de la population gallo-romaine qui voit désormais en lui un « champion » choisi par Dieu et désigné par l’Eglise, qui vient la libérer du joug des Barbares et de l’arianisme. Ainsi, beaucoup plus qu’une affaire de foi, ainsi qu’il a été présenté par les historiens chrétiens dont Grégoire de Tours, le baptême de Clovis est d’abord un geste politique qui officialise une alliancequi se préparait dans l’ombre depuis un certain temps. 

— les étapes de la structuration du royaume franc par Clovis

Á compter de ce baptême, le roi des Francs dispose de tous les éléments spirituels, politiques, militaires et diplomatiques  qui vont lui permettre de devenir le roi de France. L'adhésion de Clovis au catholiscisme plutôt qu'à l'hérésie arianiste, revêt une importance capitale :  Clovis se trouva être dans tout l'Occident, le seul chef d'Etat catholique. Il devenait de fait le partenaire privilégié (et obligé) de l'Empire d'Orient et de la Papauté.
Á partir de ce point, son expansion militaire et politique n’est plus qu’une question de temps. Aux alentours de l’an 500, la campagne de Burgondie met fin au fragile équilibre diplomatique qui existait entre Clovis et les Burgondes et permet au roi chrétien de contrôler tout le sud-est de la Gaule, partie la plus fortement imprégnée de romanité. Enfin, en 507, les armées de Clovis écrasent celles du Wisigoth Alaric lors de la bataille de Vouillé qui pose la dernière pierre de la reconquête territoriale de Clovis. 
La reconnaissance officielle de la royauté franque par la cour de Byzance est le signe juridique de la naissance politique du premier état barbare catholique fondé sur les ruines de l'empire romain. Pour parachever cette réussite, tout à la fois pour l’Eglise et pour Clovis, le Concile d’Orléansconfirme en 511 la validité et la nécessité de l’alliance entre la monarchie franque naissante et lavieille Eglise catholique qui, de ce fait, assure sa survivance malgré la mort de l’Empire d’Occident. Ainsi, cette « symbiose » politique assure pour un temps considérable la victoire du catholiscisme, sur le paganisme d'une part, et sur l'arianisme d'autre part, dans tout l'occident européen. 

Le baptême de Clovis s'insère dans un grand mouvement historique dont l'envergure le dépasse : celui de l'expansion triomphale du christianisme en Occident, prélude à le reconstruction d’une unité politique, de l’autre côté de la féodalité émergente et inexorable. 

D'où le cri de triomphe de Saint Avit, évèque de Vienne, qui écrit à Clovis : « Votre foi est notre victoire » et le désigne comme le « nouveau Constantin », en faisant référence au tout premier empereur d’Orient à avoir fait profession de foi chrétienne. 






Á partir de Clovis, de sa conversion au catholicisme et de l’unification politique et territoriale du royaume franc, se déploie une première dynastie de rois de France, qui prend le nom de Mérovingiens, en hommage à Mérovée, l’un des ancêtres semi-mythiques de Clovis, père de Childéric, qui aurait combattu aux côtés des romains contre les Huns à la bataille des Champs Catalauniques, en 451 et ainsi « inauguré » la rencontre entre une romanité déclinante et une germanité conquérante. Les descendants de Clovis contrôleront les destinées de la France durant trois siècles, de 481 jusqu’en 751, date à laquelle le dernier roi Mérovingien sera détrôné par son Maire du Palais (cf. section suivante). Disons-le d’emblée, la dynastie mérovingienne est la moins intéressante des trois « lignées » qui se succèdent à la tête de la France. Il convient toutefois de préciser la conception du pouvoir selon les Mérovingiens et l’impact qu’elle a eu sur l’administration de leur royaume, avant d’évoquer l'inévitable déclin des enfants de Clovis, causé par un problème successoral irrésolu et un passif germanique trop pesant. 

La principale caractéristique du pouvoir politique des mérovingiens, c’est qu’il s’agit d’un pouvoir de droit privé. Tout l’héritage juridique de l’Empire romain semble avoir été perdu. La notion d’Etat ne signifie plus rien, pas plus que la notion d’administration publique. Essentiellement, le roi mérovingien règne par son pouvoir personnel qui repose sur sa force et son charisme et lui permet d’avoir autorité sur l’ensemble de ses guerriers. Ce caractère personnel  a pour conséquence une conception patrimoniale qui fait du royaume conquis  la propriété privée du roi. Ce dernier est donc un chef militaire d’une part, et un propriétaire d’autre part. 

— un pouvoir personnel

Le roi est donc avant tout un chef militaire. Ses guerriers doivent lui prêter un « serment de fidélité » qui crée un lien personnel direct entre eux et lui, c’est-à-dire, par extension, entre le roi mérovingien et chacun de ses sujets. Il faut préciser qu’en l’espèce, « l’institution royale » n’a aucune importance, puisque seule compte la personne du roi et sa puissance de fait
En contrepartie de la fidélité de tous ses guerriers et sujets, le roi leur offre sa protection. Il est désigné comme le « rex francorum », littéralement, non « le roi de France », mais « le rois DES francs ». Le facteur personnel prime tout et, en réalité, le droit n’existe pas. Cela se ressent sur les rapports entre le roi et le royaume, qu’il considère comme sa propriété personnelle. 

— un pouvoir patrimonial

Le roi mérovingien est le « grand propriétaire » du royaume. C’est ce qu’on appelle la conception patrimoniale du pouvoir. Le royaume, et les hommes qui y vivent, fait partie intégrante de son patrimoine propre, à l’égal des biens qu’il possède. C’est le droit de conquête qui, dans la pure tradition franque, légitime la possession, l’appropriation de la terre et des hommes, par le roi. Et, puisque le royaume est la propriété privée du roi, ce dernier l’administre en toute liberté : il décide seul, ainsi, de la guerre et de la paix, il rend la justice comme il l’entend et il dispose, enfin, d’un pouvoir de ban qui concrétise son pouvoir de vie et de mort sur l’ensemble de ses sujets. Le roi mérovingien dispose des trois composantes du droit de propriété tel que les définissait le droit romain : l’usus, le fructus et l’abusus. Il se sert du royaume, en retire les fruits et peut l’aliéner à sa guise. La patrimonialité du royaume, écho de la personnalité des hommes, est complète. 

Les conséquences politiques de la conception patrimoniale du pouvoir royal sont majeures : à chaque succession, des morcellements du territoire sont provoqués par la nécessaire répartition du royaume entre les héritiers du roi, ce qui, d’une part, affaiblit considérablement le pouvoir royal et d’autre part, favorise l’émergence d’une aristocratie foncière qui cherche à s’affranchir de l’autorité royale, pourtant légitimée par l’Eglise via le baptême. Ces éléments « centrifuges » finiront par être plus forts que l’élément « centripète », à savoir, la légitimation spirituelle du pouvoir royal qui le distingue de tous les autres, et provoqueront l’effondrement de la dynastie mérovingienne, submergée par son passif germanique, durant la période des « rois fainéants ».

Mais auparavant, il faut présenter les grandes lignes de l’administration mérovingienne qui, quoique de pur droit privé, a « fonctionné » trois siècles et posé les fondements des institutions monarchiques qui marqueront l’évolution politique de tout l’Occident chrétien, en amont et en aval de la période féodale. 

La première chose à comprendre c’est que l’administration du royaume mérovingien est également de pur droit privé, ce qui signifie que tous ses rouages font partie, littéralement, de « la maison du roi ». On distingue principalement deux éléments de l’administration mérovingienne : d’une part, le palais du roi et d’autre part, les plaids (ou assemblées). Etudions-les successivement avant de présenter l’administration locale qui, sous les mérovingiens, n’en est encore qu’à ses balbutiements. 

— le Palais du roi

La conception patrimoniale du pouvoir chez les Mérovingiens implique une organisation domestique du gouvernement. Chaque membre du Palais du roi que l’on désigne du nom de « palatin » est avant tout chargé d’une « fonction domestique », comme l’habillement ou la nourriture de roi, qui se transforme peu à peu en fonction administrative, puis politique. 
Le plus important de tous les membres du Palais royal est l’officier principal que l’on appelle le « Maire du Palais » et qui joue, en quelque sorte et malgré l’anachronisme, le rôle de « premier ministre », chargé de répondre à toutes les demandes, requêtes et exigences du roi. 
Son autorité, au sein du Palais du roi, est aussi générale que sa fonction et, faille que ne sauront pas combler les derniers rois mérovingiens, il « régente » littéralement tout l’entourage royal. 

— les Plaids ou assemblées

Ces « plaids » sont l’héritage germanique le plus « visible » de la monarchie mérovingienne. Ils ressemblent aux anciennes assemblées de guerriers que les chefs de guerre réunissaient après chaque guerre, chaque conquête, afin de se répartir le butin.
Sur l’ensemble de la période qui nous concerne, on s’aperçoit que les rois mérovingiens réunissaient leur « peuple » au printemps pour passer en revue les guerriers et évaluer leur force militaire. C’est le « champ de Mars » à la fois conséquence de l’adoption du calendrier chrétien et souvenir inconscient de la terminologie romaine. Les rois mérovingiens profitaient de cette occasion pour s’imposer face aux « Grands du royaume », leur rappeler leur prééminence née du baptême et faire acclamer leur politique par le peuple. Progressivement, toutefois, cette assemblée, à l’origine vraiment populaire, deviendra de plus en plus aristocratique, en se professionnalisant (cf. section suivante).

— l’administration locale

Avec l’effondrement de l’administration romaine, les anciens cadres locaux ont disparu. Il n’y a plus ni diocèses ni préfectures. Seules restent des circonscriptions mineures qui vont prendre le nom de « Comtés » et conférer le titre de comte à ceux qui les administrent au nom de roi. 

— les comtes

Choisi par roi mérovingien en personne, qui peut le révoquer librement, le comte  est chargé de l’administration générale du territoire que représente le comté. En l’absence de toute spécialisation des fonctions politiques (celle-ci a disparu avec l’Empire), le comte acquiert des pouvoirs locaux très importants. Il représente l’autorité royale dans le comté et, de fait, il prend et publie son propre « ban » et fait exécuter ses propres ordres avec la même force que ceux du roi. Disposant également d’attributions militaires, il convoque les guerriers lorsque le roi part en campagne ou lorsqu’il lui faut défendre le territoire qu’il a en charge. Le comte a également des attributions financières puisqu’il est chargé de la perception des revenus du roi et de les remettre à l’administration centrale, moins les frais qu’il s’octroit (et évalue librement) pour l’exercice de sa charge. Il a enfin des attributions judiciaires puisque son tribunal constitue la juridiction de droit commun sur le territoire du comté et qu’il en préside les séances. En somme, les comtes sont des « mini-rois locaux » qui disposent de toutes les attributions « régaliennes » des rois mérovingiens.

— les ducs

D’ailleurs les rois mérovingiens, avant de sombrer dans la « fainéantise » et dans l’incapacité de gouverner, ont essayé de mettre en place des moyens de contrôle des comtes. Ainsi, on assiste à la création de cadres intermédiaires que sont les « Duchés », circonscriptions plus vastes qui englobent plusieurs comtés.
Elles sont placées entre les mains d’un duc qui surveille et sanctionne l’administration locale des comtes. En général, et c’est sans doute la cause de l’échec de la réforme, c’est l’un des comtes qui devient duc et qui acquiert autorité sur ses proches voisins. Las, tout comme les comtes avant eux, les nouveaux ducs n’ont eu de cesse, en constatant la décheance politique des derniers mérovingiens, d’accroître leurs avantages et de développer leur pouvoir personnel sur leur propre territoire. 

Au fond cette réforme de l’administration locale sous les mérovingiens n’a servi qu’à précipiter la fragmentation territoriale causée par l’absence totale de règle successorale et, de ce fait, accélérer la mise en place des structures féodales. Voyons, à présent, dans les faits, comment, au cours du 8èmesiècle, l’échec des mérovingiens est devenu si patent que l’Eglise elle-même a appuyé les réformateurs qui ont mis fin à la dynastie mérovingienne.

â Sur le plan de la transmission du pouvoir, c’est la conception patrimoniale du pouvoir qui, une fois de plus, mine et fragilise la dynastie mérovingienne en imposant des divisions successives du territoire. 

— du problème successoral aux rois « fainéants »

Tout commence dès Clovis. Considérant son royaume comme un bien propre, car il a été formé par ses conquêtes, conformément à la coutume franque, Clovis en compromet l’unité en optant, juste avant sa mort, à l’âge de 45 ans, le 27 novembre 511, pour le partage en parts égales entre ses quatre fils, qui sont Childebert IerClodomirClotaire Ier et Thierry Ier. Ceux-ci deviennent respectivement roi(s) de Paris, d’Orléans, de Soissons et de Reims. Le cycle des divisions ne fait que commencer. Á l’opposé de la tradition gallo-romaine de l’Etat unitaire, cette partition du royaume franc affaiblit d’entrée la dynastie naissante, dans la mesure où elle ouvre la porte à un affrontement permanent pour le pouvoir
Michel Rouche écrit dans son ouvrage sur Clovis : « les fils de Clovis revenaient donc au système familial primitif. Ils réenclenchaient la mécanique des meurtres, des fratricides » qui devait avoir raison de l’unité mérovingienne. Jusqu’à sa mort en 548Clotilde parvint à limiter la fragmentation politique et territoriale, s’appuyant sur l’Eglise, mais la reine catholique ne fit que retarder l’inévitable érosion du pouvoir mérovingien
Brièvement réunifié sous l’autorité de Clotaire Ier, le royaume est à nouveau divisé en 561 en trois entités : le royaume de Neustrie (Nord-Ouest), royaume d’Austrasie (Nord-Sud-Est) et de Bourgogne(Sud-Ouest) qui vient d’etre annexée. Tous ces partages et cette pluralité de capitales contribuent, malgré le maintien du titre de « rex francorum » et l’émergence des « régions » à la médiocrité du pouvoir mérovingien. En ces temps où l’unité nationale n’est qu’un rêve, il n’y a pas une mais « plusieurs Frances », dont les frontières évoluent au rythme des conflits tragiques entre frères ennemis ; celui des deux fils de Clotaire Ier, Chilpéric de Neustrie et Sigebert d’Austrasie, accentué par l’ambition et l’intelligence de leurs reines, Brunehaut et Frédégonde. Cette lutte ne prend fin qu’avec Clotaire II, fils de Chilpéric de Neustrie qui devient le seul roi des Francs en 613.

— la rivalité entre le roi et les aristocrates

En parallèle, il ne faut pas oublier, le duel entre la royauté et l’aristocratie, cette dernière cherchant toujours à tirer profit des faiblesses structurelles de la première, dont elle n’a pas la légitimité. Il ne faut négliger cette tension entre la royauté, puissance de fait, et l’aristocratie foncière, qui détient la véritable richesse de l’époque. Ici, les éléments constitutifs de la féodalité sont déjà en présence. Si la monarchie détient les clefs de l’administration centrale, elle ne peut rien à l’échelle locale sans l’obéissance des comtes et de ducs qui, parfois, sont déjà plus riches que le roi lui-même. 

— Dagobert, dernier vrai roi mérovingien

En dépit de la comptine populaire, le dernier « véritable roi » mérovingien est Dagobert Ier, fils de Clotaire II, nommé roi du vivant de son père en 622, et maître du royaume à partir de 632. Dagobert s’efforce de consolider l’autorité royale et d’enrayer la tendance à l’autonomisation des régions, luttant contre les Basques, les Bretons, et annexant la Germanie. Malgré sa volonté unificatrice, son règne ne sera qu’un intermède de centralisation dans un processus de dilution du pouvoir royal qui s’accélère à la fin du 7ème siècle.

— les rois « fainéants »

Entre 691 et 751, on voit se succéder une série de rois faibles et dégénérés, dont la plupart montent sur le trône encore mineurs et doivent, de ce seul fait, laisser les rênes du royaume à leur Maire du Palais
Ces « rois fainéants » n’ont plus de roi que le nom et, dès lors, la dynastie mérovingienne se trouve prisonnière de cette aristocratie triomphante qui a « colonisé » l’administration locale et centrale. En quelques décennies, c’est la famille des Pippinides qui, de l’ambitieux Charles Martel à son fils Pépin le Bref, s’arroge une monarchie fondé par les descendants de Clovis. 

— l’ascension des Pippinides.

En 687, l’écrasement des Neustriens par les Austrasiens durant la bataille de Tertry permet une énième unification du royaume, cette fois-ci sous l’autorité des Maires du palais d’Austrasie. Il faut préciser qu’à la fin du 7ème siècle, face à l’incapacité des derniers mérovingiens à gouverner, la fonction de Maire du Palais était devenue héréditaire et « appartenait » à la famille des Pippinides, une évolution facilitée par sa nature privée, comme tout ce qui touche le Palais du Roi, ainsi qu’on l’a déjà présenté. 

—  un Maire du Palais ambitieux : Charles Martel

C’est un représentant de cette famille, Charles Martel, qui va jouer un rôle décisif dans le passage d’une dynastie à l’autre. Fils de Pépin de Herstal, le précédent maire du Palais, il s’assure la fonction à la mort de son père en 714, et prenant la tête des armées d’Austrasie, remporte d’importantes victoires contre la Neustrie rivale. Mais c’est pour d’autres raisons qu’il va prendre une dimension incontournable, une dimension de monarque potentiel. En effet, le début du 8ème siècle est marqué par les premières invasions Arabes / Maures

Poussés par la prédication du prophète Mahomet, qui marque « l’Hégire », le début de l’ère musulmane en 622, les Arabes veulent s'étendre vers le Nord : ils quittent l'Asie mineure, conquièrent l'Afrique du Nord, puis abordent en Espagne, en soumettant les Wisigoths, et enfin, menacentl'Europe occidentale. Or, c’est Charles Martel, Maire du Palais mérovingien qui fait front et parvient à les arrêter à Poitiers en 732, préservant l’Europe, d’une islamisation massive, ce qui aurait changé radicalement l’histoire du monde. Christianisme et Islam sont, de ce point de vue, les enjeux majeurs d’un avenir encore incertain. Dès lors, Charles Martel est considéré comme le sauveur, à la fois du Royaume et de l'Eglise franque, « le champion de la Croix et de la latinité », incarnant, en ces heures sombres, l’unité de la foi et de la civilisation, par-delà l’instabilité politique. Son prestige lui confère une dimension quasi-royale ; il est clair qu’à partir de cet instant, l’Eglise voit en lui et dans sa famille, les successeurs des mérovingiens dégénérés. Il ne restera plus qu’à tirer les leçons juridiques de cette situation de fait. C’est ce que fera, Pepin, son fils, en 751, en détrônant le dernier roi mérovingien, Childéric III, qui « régnait » depuis 743, et assumant, avec l’aide des grands et le soutien des évêques, le pouvoir royal.



L’histoire de la dynastie carolingienne qui s’étend de 751 à 987, peut être résumer en quatre phases : celle de la légitimation et la montée en puissance, de 751 à 768 ; celle du règne glorieux de Charlemagnede 768 à 814 ; celle des crises successorales et des nouvelles partitions du territoirede 814 à 888 ; celle enfin, de la disparition des carolingiens, via l’intermède des Robertiens, annonciateurs de la dynastie capétienne, de 888 à 987
Nous y ajoutons un paragraphe central sur les caractères du droit carolingien, notamment à travers les capitulaires de Charlemagne. Durant cette période, on considère qu’il y a deux évolutions fondamentales par rapport à la dynastie précédente : d’un part, l’instauration du sacre, qui remplace le baptême de Clovis, d’autre part, la restauration de l’Empire. Plus important, c’est la conception du pouvoir qui change radicalement : de patrimonial et privé, le pouvoir redevient public, et est envisagé comme une fonction sacrée. 

— le « coup d’Etat » de Pépin

Pépin-le-Bref se fait couronner en 751 dans le respect de la plus pure tradition franque avec l’appui des « grands du royaume » qui l’acclament, réunis en assemblée de guerriers. Le « coup d’Etat » est facile, prévu et attendu depuis longtemps et il se fait dans la plus pure tradition germanique, c’est-à-dire, en s’appuyant sur la force du chef de guerre porté par ses guerriers. 
Que pouvait bien peser la dynastie mérovingienne face au fils de Charles Martel, petit-fils de Pépin de Herstal, dernier rejeton de la famille des Pippinides qui assume la réalité du pouvoir politiquedepuis presque un siècle ? Le dernier descendant de Clovis, Childéric III, finit ses jours dans un couvent. Mais, « l’élection » par les Grands ne suffit pas aux yeux de Pépin-le-Bref. Pour faire triompher l’unité politique et territoriale qui lui tient à cœur, il lui faut légitimer son pouvoir vis-à-vis de l’Eglise, car la famille des Pippinides ne bénéficiait pas du caractère légitimateur du baptême de Clovis. 

— à la recherche d’une nouvelle légitimité par le sacre

Pépin-le-Bref va donc avoir recours, en 752, à la cérémonie du sacre, qui apparaît pour la première fois dans le droit public français. Cette deuxième partie du « coup d’Etat » avait aussi été méticuleusement préparée. En 750, Pépin avait demandé au pape Zacharie qui devait être le véritable roi : « celui qui avait la réalité du pouvoir ou celui qui en conservait l’apparence ? Et la réponse de la papauté avait été univoque : il est convenable que le titre de roi soit porté par celui qui en exerce véritablement les pouvoirs ».
C’est dans la cathédrale de Soissons, lieu symbolique qui servit de prélude à la dynastie précédente, que l’évêque Saint Boniface procéda au sacre du roi Pépin-le-Bref. La cérémonie reproduit le rituel du baptême et celui, biblique, de l’onction royale, en ayant ceci de particulier qu’il s’agit désormais d’un geste politique à part entière. L’objet du sacre est la légitimation de l’autorité royale.
Cette cérémonie ajoute un élément tout à fait nouveau dans l’histoire des monarchies franques. Car, au droit de la conquête, à la légitimité du sang qui découle de l’hérédité, elle superpose le caractère sacré de la fonction royale, légitimée par Dieu. Car c’est par le sacre que le Roi devient « l’élu de Dieu » et qu’il doit remplir, en conséquence, certaines fonctions. Nous sommes ici aux balbutiements du droit divin. Mais, il y a un revers à la médaille, évidemment. Si le roi ainsi désigné par le sacre, est exalté aux yeux du peuple, il est, dans le même temps, subordonné à l’Eglise catholique qui a la mainmise sur une légitimation sans laquelle il n’est qu’un usurpateur ou un tyran. 

Á travers le sacre, l’alliance entre la monarchie franque et l’Eglise catholique se renouvelle et elle se fait aussi plus profonde, plus contraignante pour le roi. S’il le remplit pas ses fonctions royales, l’Eglise pourra le sanctionner. Toutefois, le fils de Pepin-le-Bref, Charlemagne, saura se servir de la puissance extraordinaire que représente l’Eglise catholique.

Á la mort de Pepin-le-Bref, le 24 septembre 768, c’est son fils aîné Charles, qui avait été sacré par anticipation à l’âge de douze ans en 754 qui monte sur le trône carolingien. La disparition prématurée de son frère, Carloman, en 771, facilite ses premières années de règne, en écartant toute hypothèse de partage.  Devenu Charlemagne (Carlo Magno), il va règner jusqu’en 814 et porter la dynastie à son apogée, et même au-delà de ses limites naturelles en réunissant, grâce à l’utilisation de l’héritage juridique romain, toutes les conditions d’une résurrection de l’Empire.  

— les conquêtes territoriales

L’un après l’autre, Pépin et Charles ont réalisé de nouvelles conquêtes par lesquelles, ils imposent à la fois leur pouvoir et leur religion : ItalieEspagne et Germanie sont soumises. Dans le cas particulier de l’Italie, son intégration au royaume carolingien est facilitée par le mariage entre Charlemagne et la fille du roi de Lombardie, Désirée, qu’il renie juste avant d’écraser le royaume lombard pour satisfaire la Rome pontificale qui le considère incompatible avec l’Empire. 
De cette manière, Charlemagne, en l’absence de la Byzance éloignée, devient le champion de la Papauté. L'alliance entre la dynastie carolingienne et le Saint-Siège en ressort grandie et accélère l’expansion territoriale de la première. 



— les avancées institutionnelles

De plus, Charlemagne, inspiré par une romanité qu’il admire, fait procéder à d'importantes réformes institutionnelles concernant l'administration. Dans le même temps, la notion de fonction publique est restaurée et, avec elle, celle d’Etat. La première conséquence est que le changement de nature du pouvoir royal sensible dès le sacre de Pépin-le-Bref, est confirmé : de patrimonial et privé, le pouvoir royal devient la conséquence d’un « ministerium regis », ministère royal, source d’une série d’obligations sanctionnées par l’Eglise, certaines excédant le domaine du politique pour résonner dans celui spirituel. Ainsi, le roi carolingien doit défendre les Eglises et leurs possessions, promouvoir la foi chrétienne. L’idée d’universalité, propre au christianisme, pose les bases d’une future restauration impériale, elle-même universelle.
L’unité devient le maître-mot du monarque. Unité du droit, unité du peuple de France, au sein duquel les différences ethniques et culturelles sont gommées par le christianisme triomphant et la centralisation politique. L’un des chevaux de bataille de cette logique de l’unité est, sans nul doute, l’administration qui connaît de nombreuses réformes sous Charlemagne. 

— les réformes administratives

Sur le plan de l’administration centrale, l’ancienne fonction domestique de Maire du Palais est logiquement supprimée et remplacée par une magistrature mieux réglementée et limitée, celle de sénéchal et l’officier principal du Palais caroligienne devient le chancelier, chargé de la rédaction des actes législatifs et administratifs, fonction remplie le plus souvent par un clerc qui accélère le retour de l’écrit dans la pratique carolingienne (le personnel de la chancelerie étant d’ailleurs exclusivement ecclésiastique). Le comte du Palais, au sommet de la hiérarchie comtale, vient compléter cette organisation et juge seul de la recevabilité des causes portées devant la justice royale. 
La présence de l’Eglise et de l’aristocratie, au plus près du pouvoir royal, n’a rien d’anodin. En ce qui concerne les plaids, la transformation de l’armée, avec l’apparition de la cavalerie, déplace les champs de mars, au mois de mai et accentue encore le caractère aristocratique de ces assemblées. Ces « champs de mai » deviendront les « plaids généraux » sous Louis le Pieux, composés exclusivement d’aristocrates, seuls capables de s’équiper pour la chevauchée et matérialise la mise en place d’une nouvelle hiérarchie sociale entre les combattants et les servants.
Le processus de « féodalisation » du royaume est en marche, les rapports entre le roi et ses sujets sont désormais « médiatisés » par les aristocrates qui siègent dans les plaids. 
Sur le plan de l’administration locale, les transformations sont tout aussi importantes : le principal effort des carolingiens se porte sur l’amélioration du contrôle exercé par le roi sur les comtes. Deux techniques sont alors utilisées, mais si l’une va fonctionner un temps, l’autre mène tout droit à l’échec et à l’aggravation de la médiatisation du pouvoir. 
La première est l’instauration d’envoyés royaux extraordinaires appelés les « missi dominici » qui disposent de pouvoirs de sanction exorbitants puisqu’ils représentent directement le roi devant les comtes. Mais, après le règne de Charlemagne, cette institution, qui seule aurait pu enrayer la fragmentation du pouvoir politique, se dégrade et sombre dans l’oubli. 
La seconde technique est l’instauration d’un lien direct entre les comtes et le roi, par le serment de fidélité, de manière à faire des premiers les vassaux du second. Là encore, l’effet n’est pas celui escompté car le serment officialise la médiatisation du pouvoir politique et les « agents » locaux ont désormais toute latitude pour se comporter en « maîtres » sur leurs terres. 
Le constat administratif est mitigé, donc. Le recul de la patrimonialité du pouvoir royal est contrebalancé par la patrimonialisation des fonctions comtales qui isole le roi en son « royaume » immédiat et le « coupe » de ses sujets éloignés. C’est le signe que la féodalité existe déjà sous la surface impériale. Ce sont les traditions germaniques, qui, au cœur même de cette parenthèse (de romanité) enchantée, demeurent tenaces : l’idée d’institution royale n’est pas comprise par la plupart des contemporains qui continuent à prêter serment de fidélité à la personne du roi, et non à l’institution royale, et l’exercice quotidien de l’autorité reste fondé sur le traditionnel pouvoir de ban. Si la patrimonialité recule, la médiatisation du pouvoir se poursuit

— le renouveau intellectuel

Au-delà des réformes institutionnelles, on note l’existence d'un mouvement de renouveau intellectuel marqué par un retour à la culture antique. 
Tous les regards se tournent vers l'image glorieuse de l'Empire romain d’Occident tel qu’il était à son apogée

— la renaissance effective de l’Empire

Toutes ces avancées, territoriales, politiques, institutionnelles et juridiques (cf. § suivant) finissent par convaincre le Pape Léon III que Charlemagne a l’étoffe d’un nouvel Empereur d'Occident (indépendant de celui d'Orient) et que l’heure de la résurrection a sonné. Le couronnement impérial(et non plus royal) a lieu à Rome le jour de Noël de l’an 800 par le Pape en personne qui pose sur le front de Charlemagne le diadème impérial et fait de lui la tête du Saint Empire romain-germanique, nouvelle puissance internationale née de la fusion, non de la simple juxtaposition, des éléments romains et germaniques. Au-delà du syncrétisme, le nouvel empire se présente comme le successeur de l'ancien.
Clovis avait unifié la Gaule. Et Charlemagne réunifie l'Occident.

— la « faille » impériale

La victoire, si éclatante soit-elle, devait être de courte durée, la « faille » se situant toujours au même endroit : la question de la dévolution du pouvoir. Si Charlemagne associe au trône son fils, Louis le Pieux, en 813, juste avant sa mort, en 814, afin de préserver l’unité impériale, ce dernier ne saura pas en conserver l’intégrité. Avant d’analyser son échec, il convient de présenter, en quelques lignes, l’évolution du droit carolingien et la renaissance, temporaire, d’une législation royale unitaire durant le règne de Charlemagne. 

— l’échec de l’Ordination Imperii de 817

â Le signe avant-coureur de l’éclatement de l’Empire est, sans doute, l’échec de « l’Ordinatio imperii », l’Ordonnance de l’Empire de 817. C'est dans le but de garantir l'unité du vaste Empire mis en place par son père que Louis le Pieux prit cette ordonnance. 
Il s'agissait de répartir le territoire entre ses fils, mais, de conserver l'unité de l'Empire, en rendant la dignité impériale indivisible et en la conférant à l'aîné de ses fils, auquel ses frères devraient reconnaissance et fidélité. Louis le Pieux pensait concilier les droits des héritiers et l'autorité de l'empereur, ou autrement dit, l’héritage romain et la tradition germanique. Pépin reçoit l'Aquitaine et Louis, la Bavière, et tous deux doivent obéissance à leur ainé, Lothaire qui hérite seul du titre impérial
Cette « Ordinatio imperii » va être remise en cause par des prétendants qui s'estiment lésés, dont Bernard d'Italie, le neveu du roi Louis le Pieux, et surtout le dernier fils de Louis le Pieux, Charles II, dit le Chauve, qui naît en 823 d'un remariage avec Judith de Bavière, princesse à la personnalité ambitieuse. Sous l'influence de Judith, Louis le Pieux décide de doter son cadet, ce qui provoque la colère de ses trois premiers fils, qui déclenchent les hostilités. Le royaume sombre alors dans la guerre civile

— la partition définitive de l’Empire en trois parties

En 843, la partition définitive du territoire du Saint-Empire romain germanique par le Traité de Verdun, apporte la preuve, irréfragable, de la pesanteur fatale du passif germanique. L’Empire est divisé entre les trois fils survivants de Louis le Pieux, en trois parties indépendantes : 
1 - Louis le germanique reçoit la partie de l'empire qui se trouve à l'Est du Rhin : la Francia Orientalis.
2 - Charles le Chauve (dernier fils) prend les pays de l'Ouest du Rhin, de la Saone et de la Meuse : la Francia Occidentalis.
3 - Lothaire (fils aîné) conserve la dignité impériale et un territoire allant de la Mer du Nord à l'Italie, entre les possessions de ses frères, qui prend le nom de Lotharingie.
Est-ce l'acte de naissance des nations modernes que deviendront la France, l’Allemangne et l’Autriche-Hongrie ? Quoi qu'il en soit, l'unité impériale créée par Charlemagne n’est déjà plus qu’un souvenir et l’Europe glisse lentement, mais sûrement vers la féodalité



— le destin de la Francia Occidentalis

Quant à la Francia Occidentalis, cette France en devenir qui a perdu le titre impérial, le désordre s’y accroît durant toute la seconde moitié du 9ème siècle. Les descendants de Charles le Chauve se heurtent à de nouveaux obstacles, notamment les invasions normandes
Pour éviter les pillages, les carolingiens sont contraints de payer de fortes rançons qui affaiblissent leur pouvoir, tandis que l’aristocratie organise seule la défense sur le plan local ; c'est là l'origine de nombreux chateaux-forts qui caractériseront le paysage féodal. Au fond, l'expansion de l'Islam a consommé la rupture entre l’Orient et l’Occident et, ruinant le commerce méditerranéen, a causé la décadence de villes. Dès lors, la vie s'organise dans les limites des grands domaines agricoles, à l'abri des forteresses des « grands » du royaume. Le royaume carolingien est au bord de la dislocation. 

â Déchargée de la destinée impériale et totalement dépassée par les invasions, la dynastie carolingienne se débat dans des luttes de pouvoir intestines, ce qui favorise l’autonomisation des territoires comtaux

— la patrimonialisation des fonction comtales

Á compter de 888, la centralisation, tant administrative que politique, n’est plus qu’un souvenir. Les soi-disant « agents locaux », les comtes, profitent du relâchement de l’autorité centrale, pour patrimonialiser leur fonction
La population locale se rattache tout naturellement à ces « seigneurs en gestation » qui assurent sa défense et sa subsistance. Ainsi seront rapidement acquises l’irrévocabilité puis l’hérédité de la fonction comtale, qu’en tout état de cause, le roi carolingien n’a plus les moyens de rémunérer. 

— la déposition de Charles le Gros par le comte Eudes

Le temps d’un dernier soubresaut, Charles le Gros parvient à réunir entre ses mains l’ensemble des royaumes carolingiens et la dignité impériale en 884, mais une nouvelle invasion normande, lui fait renoncer à cette fragile unité et lui fait perdre Paris
Face à l'échec du roi, un aristocrate, le comte Eudes, fils de Robert le Fort, qui s’était lui-même illustré dans la lutte contre l’envahisseur Normand durant le règne de Charles le Chauve, mène vaillamment la résistance parisienne et, comme Charles Martel l’avait fait, met en lumière une nouvelle famille, celle des Robertiens, ancêtres des Capétiens. 
Puis, en 887, alors qu’il est parvenu à repousser les Normands, il dépose Charles le Gros et est proclamé roi par les grands du royaume. 

— l’alternance des carolingiens et des robertiens

Á compter de ce jour, derniers Carolingiens et premiers Capétiens vont se disputer le trône de France, en se détournant complètement de tout ce qui ne concerne pas le gouvernement monarchique, ce qui accélère le morcellement territorial d’ores-et-déjà irréversible. 
En 898, le carolingien Charles le Simple succède à Eudes et parvient à résoudre le problème normand en créant la « Normandie », mais il est écarté par un soulèvement de Grands qui craignent une reprise de contrôle de la monarchie sur leurs territoires. Lui succède alors Robert Ier, frère d’Eudes, et ainsi de suite… 

— la fin et le commencement

Jusqu’à l’élection par les grands du royaume, en 987, du Robertien Hugues Capet, qui inaugure la dynastie capétienne, mais n’est en fait qu’un seigneur parmi d’autre qui ne « règne » que sur un territoire très confiné autour duquel la féodalité s’étend, inexorablement. 






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