mardi 4 février 2020

L'Histoire des seigneurs féodaux dont l'emprise territoriale fut freinée par l'Église et l'expansion des villes... (première partie)


Si Mérovingiens et Carolingiens avaient suivi la même évolution, à savoir un essor prodigieux rapidement suivi d’une inexorable décadence, la dynastie des Capétiens suit le chemin inverse : à partir d’une autorité incertaine et des fragments d’un domaine royal misérable, ils vont constituer, au sortir de l’ère féodale, la plus grande monarchie de l’histoire de France. 

— un roi élu par les « grands »

Á l’origine, duc de France (depuis la mort de son père, Hugues le Grand, en 956), Hugues Capet prend le trône de France dans des conditions peu glorieuses, élu par les comtes et les ducs, tous aristocrates « délivrés » de l’autorité carolingienne déclinante. Le choix se porte sur lui pour des raisons strictement pratiques : il fait preuve d’intelligence politique et de vaillance au combat en défendant efficacement Paris contre les armées de l’Empereur Otton II en 978. Son accesion au trône est facilitée par la mort accidentelle, dans une chute de cheval, du roi carolingien, Louis V dit « le fainéant ». Quant aux possessions de son duché, elles n’ont fait que s’accroître au détriment de celles du roi, ce qui lui donne, une puissance financière et territoriale qui renforce son image de « roi » potentiel. 

— la dégradation de l’autorité royale

Le premier capétien a un règne sans éclat, qui ne ressemble en rien à celui du plus puissant des carolingiens et il ne triomphe du dernier prétendant de cette lignée, Charles de Lorraine, qu’au prix d’années d’effort et grâce à la trahison d’un évêque, Adalbéron de Laon, qui lui livre son concurrent en 991. Hugues Capet est plus un duc qu’un roi et jusqu’à la fin de son règne, il reste ce qu’il était avant le sacre, un seigneur comme les autres
Modestes, donc, sont les débuts de cette troisième dynastie. Elle ne dispose que de ressources très limitées et son domaine royal est des plus restreints. Hugues ne garde que quelques vestiges de la fortune carolingienne tels que Compiègne, quelques villes d’importance, comme Orléans, et un Palais à Paris. Au total, l’équivalent d’un ou deux départements sur un carte actuelle, guère plus, sans compter que ce domaine est criblé d’enclaves autonomes, hérissées de châteaux orgueilleux et inexpugnables. 

— le maintien de l’hérédité

En ce qui concerne l’hérédité royale, elle parvient à se maintenir malgré la grande faiblesse de la troisième dynastie. Ainsi que les carolingiens en avaient donné l’exemple, Hugues Capet fait sacrer son fils Robert de son vivant, par anticipation. Répétée de génération en génération, cette pratique du sacre par anticipation va faire de l’hérédité une coutume de droit public qui deviendra, peu à peu, une loi fondamentale (cf. partie suivante, chapitre II, section 1). 
Ce qui signifie que, progressivement, la maison capétienne s’est libérée de cette technique germanique qu’était l’élection par les Grands du royaume (ex-guerriers francs). Le droit d’hérédité remplace de droit électif et, au cœur d’une féodalité victorieuse, c’est une avancée considérable pour l’avenir de la monarchie, source d’une légitimité de droit public, indépendante de l’emprise féodale et aristocratique. 

 la réduction du domaine royal

L’exiguité du domaine royal ne s’améliore pas, voire tend à s’aggraver avec le  deuxième capétien, Robert le Pieux, qui succède à son père, en 996, et n’a pas un règne plus glorieux que son géniteur. Roi médiocre, il passe sa vie à guerroyer sans effort contre les barons pillards de son voisinage immédiat, à l’exception d’un conflit contre le puissant comte de Mâcon, qui ne débouche, toutefois, sur aucun agrandissement du domaine royal
Le troisième capétien, Henri Ier, monte sur le trône à la mort de son père Robert, en 1031, après une âpre lutte contre son frère cadet, Robert. Or, Henri le parvient à l’emporter qu’en achetant l’aide de la Normandie par l’abandon d’une partie du domaine royal, le Vexin, et en distribuant des châteaux à ses alliés intéressés. Il gagne le trône au prix d’un réduction du domaine royal et un affaiblissement matériel, marché de dupes, donc. 
Sous son règne, la royauté capétienne est à la merci des seigneurs féodaux. Si ceux-ci s’étaient ligués contre elle, elle aurait tout simplement disparu et l’histoire de France en eût été profondément changée et, sans doute, la phase de reconstruction monarchique n’aurait pas été aussi « centralisatrice » que ce qu’elle a été. 
Toutefois, Henri parvient à conserver son trône en jouant sur la force naissante du sentiment national. En effet, il proteste contre l’emprise germanique du Saint-Empire en terre de France et défend, déjà, la Lorraine contre Henri III d’Allemagne. 
Le quatrième capétien, Philippe Ier est sacré en 1059 et devient roi en 1060. Il doit faire face, d’emblée, à un conflit avec l’Eglise, en raison de l’enlèvement de Bertrade de Montfort, comtesse d’Anjou qu’il veut épouser. Excommunié en 1102, il doit encore faire face aux prétentions territoriales de la Normandie et de la Flandre, et recule sur tous les fronts, plus qu’il n’avance. 
D’ailleurs, les deux faits essentiels de la période, la première croisade et la conquête de l’Angleterre par les Normands, ont lieu sans aucune intervention de ce roi trop faible. C’est ainsi que la dynastie capétienne aborde le 12ème siècle, haletante et fragile, au bord de la disparition. Quantité négligeable sur la scène locale et acteur invisible sur celle internationale. La féodalité occulte la monarchie et l’infime braise de légitimité que subsiste, ne sera ravivée qu’à la fin du siècle, presque par miracle. Le miracle capétien, dont il n’est pas encore temps de parler… 

Il n’y a quasiment rien à dire sur l’administration et les structures de gouvernement des premiers capétiens, tant celles-ci apparaissent hésitantes et en voie de désagrégation. Le roi capétien a conservé, au départ, les organes du gouvernement carolingien, progressivement modifiés par la généralisation de l’emprise féodale qui écrase toute tentative d’institution centralisée. C’est ici l’héritage carolingien qui dépérit. 

— de l’hôtel du roi à la « mesnie »

L’Hôtel n’est ni plus ni moins que le prolongement du Palais carolingien. Il englobe tous les hommes de l’entourage du roi, tous ceux qu’il nourrit et qu’il héberge comme le seigneur qu’il est en réalité. Tous les officiers de l’Hôtel sont des « domestiques » au sens étymologique du terme. Leur fonction est privée par nature et ils font partie de la « maison » du roi capétien. Les cinq officiers les plus importants sont : le sénéchal, le connétable, le chambrier, le chancelier, le bouteiller. Et ils remplissent, auprès du roi, les mêmes fonctions qu’ils ont auprès des comtes et des ducs
Peu à peu, l’hôtel se transforme en « mesnie », qui désigne un groupe hétérogène de jeunes chevaliers qui constituent la suite de roi et l’accompagnent partout pour le protéger et lui rendre hommage ; le terme latin est révélateur de leur nature résolument privée puisqu’on parle de « familia regis », littéralement la « famille » du roi. Toutefois, à cause de leur « proximité », ils ne disposent jamais d’une puissance susceptible de contrebalancer celle du roi. C’est, au filtre de la féodalité, l’annonce du système de gouvernement capétien qui perdurera jusqu’à la fin du 18ème siècle, à savoir celui de la « Cour » qui ne vit que par et pour le roi et tisse autour de lui une « tapisserie » d’intrigues et d’intérêts entrelacés. Toutefois, il ne faut pas confondre cette Cour à venir avec la petite « cour » des tous premiers capétiens qui n’est que la continuation des plaids carolingiens. 

— du plaid carolingien à la « cour » capétienne

On l’appelle la « curia regis », mais son nom est plus porteur de sens que de réalité. Survivance des plaids carolingiens, la Cour du roi complète l’Hôtel en ce sens qu’elle est le lieu où se rassemblent les vassaux directs du roi, tous ces comtes et ces ducs qui, ayant revendiqué (et acquis) leur automonie grâce au poids des circonstances et à la faiblesse du pouvoir central, tiennent leurs terres du roi et siègent à son assemblée pour lui apporter aide et conseil (cf. section suivante). Il ne s’agit plus d’un véritable organe de gouvernement, mais du stigmate du caractère féodal de la monarchie capétienne. La « Cour » du roi n’a, en effet, rien de différent avec les cours de tous les autres seigneurs qui se disputent les terres de France. Elle prouve que même s’il parvient à faire reconnaître sa suzeraineté, le roi n’est qu’un seigneur comme les autres. Ses attributions n’ont pas besoin d’être développées puisqu’on va les détailler en étudiant le lien féodo-vassalique dont elles ne sont que le reflet. 

— les premières concessions de fiefs et de gages. 

Le roi capétien concède des fiefs ou des gages à la plupart des membres de la « mesnie », surtout à ceux qui remplissent une fonction particulière. Ce sont des portions de territoire « prélevées » sur son propre domaine royal, ou des sommes d’argent qu’il leur verse régulièrement en échange de leur fidélité. Sans entrer, à ce stade, dans les détails, il faut dire, tout simplement, que de telles « concessions » accélèrent l’emprise féodale puisqu’elles induisent l’idée d’une contrepartie à l’exercice d’une fonction et qu’elles ne font que renforcer l’autonomie matérielle des princes, ducs, comtes et autres seigneurs qui sont légitimés, dès lors, à faire de même avec leurs propres vassaux, augmentant d’autant les barreaux de l’échelle du pouvoir. 


— l’autonomisation des princes, des comtes et des ducs

â Á la fin du 10ème siècle, le royaume de France n’est plus qu’une mosaïque. Non plus découpée en fonction des appartenances ethniques ou religieuses, comme c’était le cas cinq siècles auparavant, mais au gré des bornes politiques des « anciennes » circonscriptions carolingiennes. Au-delà du domaine royal, seule portion du territoire où l’autorité du roi s’exerce directement (ou s’exerce véritablement), le reste du royaume est divisé en principautés, en duchés, en comtés ; de simples circonscriptions régionales ou locales, tous ces domaines sont devenus des pouvoirs autonomes
De grandes familles sont désormais à la tête de vastes portions du territoire telles que la Flandre, la Normandiel’Anjoul’Aquitaine, la Bourgogne, ou encore Toulouse. Les familles nobles qui y « règnent » à l’instar du moindre de leurs vassaux, ont une histoire propre qui les légitime autant que le sacre. Parce qu’elles ont assumé les prérogatives royales de protection, de justice, et d’ordre. Parce que le pouvoir central les a progressivement livrées à leur sort, trop préoccupé par sa propre succession. 
Dès lors, leur autonomie matérielle, administrative, juridique et politique, coupe le lien direct qui existait entre le roi et le peuple. Les populations qui se sont réfugiées à l’intérieur des principautés, des duchés ou des comtés, par choix ou par nécessité, suite à la décadence du commerce et des villes qu’il faisait vivre, sont désormais placés sous l’autorité des grands seigneurs et le roi n’est plus qu’une abstraction. 

— une inévitable médiatisation du pouvoir politique

Mais la médiatisation du pouvoir politique ne s’arrête pas là. Au-dessous de ces principautés ducales et comtales, se trouve une myriade de seigneuries que les princes, les comtes et les ducs vont se subordonner par l'intermédiaire de l’établissement liens personnels : c'est la mise en place de la « vassalité » et de son corollaire, le « fief ».

— la mise en place de la « pyramide féodale »

Pour conserver une autorité sur les ducs et les comtes, le roi va s’inscrire dans la féodalité et agir de même, en faisant d'eux ses « vassaux directs », en exigeant leur fidélité en échange de la terre. C’est ainsi que va se structurer, peu à peu, empiriquement, ce qu’il convient d’appeler « la pyramide féodale » qui depuis les plus petits seigneurs jusqu’au roi, en passant par les comtes et les ducs, concrétise la médiatisation et la privatisation du pouvoir politique. Le roi occupe théoriquement le sommet de cette pyramide, sans toutefois en tirer un pouvoir supérieur et direct, mais au contraire limité et très médiatisé. C'est la suzerainetépouvoir de droit privé fondé sur des liens personnels(qui naissent par le serment de fidélité). Le roi n'est un souverain que sur son propre domaine (le concept de souveraineté est de toute façon trop complexe pour être utilisé par les contemporains). Si on fait un schéma simplifié de cette structure, voilà ce que l’on obtient, en sachant que plus au descend les degrés du pouvoir, plus les titulaires sont nombreux et qu’entre chaque étage les rapports sont déterminés par un lien de dépendance. 

Roi
(qui va chercher à se faire reconnaître comme seigneur des seigneurs)
Comtes  et Ducs
(à la fois vassaux directs du roi et  grands seigneurs des principautés)
Grands vassaux
(à la fois vassaux des Comtes et Ducs et importants seigneurs locaux)
Vassaux 
(à la fois soumis aux grands seigneurs, et eux-mêmes seigneurs locaux)
Arrière-vassaux
(en dessous desquels on trouve les non-nobles, les serviles)

— une faiblesse et une force : la suzeraineté 

Partie de si bas, emportée par la féodalité, cette dynastie capétienne sera pourtant l’instigatrice de la reconstruction monarchique et à l’origine de la centralisation administrative en France. Cela n’a rien de paradoxal, car dès le départ, dès Hugues Capet, cette faiblesse a été une force. Alors même que le roi carolingien s’employait à conserver une souveraineté affaiblie, le seigneur capétien lui n’a pas eu d’autre choix que de raisonner tout d’abord en tant que féodal. C’est dans la dégradation de l’autorité royale qu’il trouve sa voie, car Hugues Capet et les rois suivants n’ont pas voulu se battre contre la féodalité, mais au contraire s’intégrer à elle pour mieux la dominer. Ils se sont imposés, non comme rois, mais comme seigneurs supérieurs. Ce n’est que lorsqu’ils ont été assez forts sur le plan des concepts, grâce à la renaissance du droit romain, qu’ils ont entrepris de se libérer de la gangue féodale. 



Voyons, depuis les temps mérovingiens jusqu’aux débuts des capétiens, en passant par les mutations carolingiennes,qu’elle a été l’évolution parallèle des liens personnels et des liens réels qui a permis la mise en place du lien féodo-vassalique.

 l’époque mérovingienne : les prémices de la féodalité

C’est un homme qui commande, et non une entité impersonnelle. Dès lors, l’idée de dévouement personnel désagrège la puissance de l’Etat. La fidélité va, non pas à l’institution, mais à l’homme qui l’incarne. 
S’installent des liens de dépendance, d’homme à homme, qui puisent leurs racines dans le clientélisme antique. Comme l’écrivait Calmette, « autour du chef barbare, les compagnons, liés par le serment et payés par le butin, forment le globus, instrument de guerre et de conquête ». Or c’est dans son entourage immédiat que le roi choisit ses comtes
Dès les Mérovingiens, on voit apparaître la notion de vassalité. Le mot n’est pas nouveau ; il provient d’un mélange de latin, « vassus » et de celtique, « gwassal » qui signifie « le jeune homme qui sert ». Au début, il désignait un esclave, puis au cours du 7ème siècle, il a été employé pour des hommes libres qui entraient volontairement en dépendance d’un seigneur et prenaient le nom de « vassaux ». 

— la recommandation, aux sources de la vassalité

Á l’époque mérovingienne, l’acte juridique par lequel un homme se plaçait dans la dépendance d’un autre, sous sa « mainbour » ou puissance politique, s’appelle la recommandation ou, pour utiliser le terme latin, « commendatio ». Littéralement, il s’agit pour un homme libre, guerrier et/ou noble, de se placer sous l’autorité et sous la protection d’un autre homme plus puissant que lui, ou du roi tout simplement. 
On connaît la « formule » de la recommandation mérovingienne, dont voici un extrait, c’est le futur vassal qui s’adresse au seigneur (ou au roi) : « vous devrez m’aider et me soutenir aussi bien quant au vivre que quant au vêtement dans la mesure où je pourrai vous servir et mériter de vous. Et aussi longtemps que je vivrai, je devrai vous servir et vous respecter comme peut le faire un homme libre et de tout le temps que je vivrai, je n’aurai pas le pouvoir de me soustraire à votre puissance ». 
On remarque ici que, dès la première forme de la vassalité, il existe entre le vassal et son seigneur, des obligations réciproques. Le seigneur doit au vassal l’entretien et la protection et le vassal promet au seigneur de le servir et de lui obéir, c’est-à-dire, de ne pas nuire. C’est ce qu’on appelle juridiquement, un contrat synallagmatique. De plus, dès l’époque mérovingienne, la notion de fidélité implique que le contrat soit conclu en raison même de la personnalité des contractants, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un contrat intuitu personae. Il ne se justifie que par les qualités propres aux deux co-contractants. L’un peut servir et l’autre peut protéger. 
Enfin, il faut noter que le contrat de recommandation est général. Il ne fait pas encore la distinction nette entre les services militaires, agricoles, politiques, etc. Il convient à toutes les hypothèses d’entrée en dépendance, ce qui montre bien que la féodalité ne s’est pas encore enracinée. 

— le bénéfice : une terre concédée

En ce qui concerne l’entretien que promet le seigneur (ou le roi) à son vassal les solutions, dès l’époque mérovingienne, ont été multiples. La première, la plus évidente, consistait à « héberger » directement le vassal dans la maison du seigneur, pour garantir son entretien direct. Mais, l’accroissement du nombre de vassaux a rapidement imposé d’autres solutions. Ainsi, dès l’époque mérovingienne, on assiste aux premières concessions de terres. La terre concédée s’appelle le bénéficeet elle est remise par le seigneur au « recommandé » pour qu’il puisse l’exploiter, et en tirer les ressources qui permettront son entretien. La terre, via l’agriculture, représentant la principale source de richesse, cette solution est de plus en plus fréquente. Le terme générique de tenure est rapidement remplacé, pour les tenures nobles, par celui de « bénéficium/bénéfice ». Les vassaux reçoivent des fractions, qu’on appelle « manses », du territoire des grands domaines de l’aristocratie, qui ont un caractère très avantageux. Mais, là encore, non seulement, il n’y a pas de distinction entre les terres concédées pour des raisons économiques et les terres concédées pour des raisons militaires ou politiques. De plus, dans la pratique elle-même de la concession de terre, il n’y a aucun lien direct entre la recommandation et le bénéfice, c’est-à-dire que l’entrée en vassalité n’est pas conditionnée, comme elle le sera plus tard, par la concession d’une terre. Le roi concède des terres en toute liberté et tous ses vassaux ne sont pas « chasés », c’est-à-dire titulaires d’une concession. Mais, tout va changer à l’époque carolingienne. 

— l’époque carolingienne : la naissance de la féodalité 

L’idée centrale à retenir est que si l’époque mérovingienne a effectivement connu deux phénomènes de fragmentation, celui du pouvoir politique et celui des terres, ceux-ci n’étaient pas directement liés, tandis qu’au cours des temps carolingiens, l’état des choses change radicalement : les deux institutions, la vassalité d’une part, le bénéfice d’autre part, jusque-là indépendantes, vont se retrouver étroitement associées. Elles vont s’unir de manière à former une nouvelle institution, impliquant à la fois des liens personnels et des liens réels, qui va donner naissance à la féodalité à part entière. 

— le mélange entre la précaire et le bénéfice

Tout d’abord, dès l’accession au pouvoir de Charles Martel et de son fils, Pépin-le-Bref, on assiste à l’usurpation des terres de l’Eglise décidées par les carolingiens pour y installer leurs vassaux, afin de financer leur équipement et de faire face à l’état de guerre civile. Mais, les rois carolingiens se préoccupent néanmoins de « réserver », les droits des légitimes propriétaires. On voit donc apparaître, à côté du bénéfice déjà connu, un contrat différent qu’on appelle la précaire. Comme les précédents, ce contrat partage le droit de propriété entre les deux parties contractantes, à savoir les églises locales et les vassaux du roi. En droit, le bien immobilier, la terre, continue d’appartenir aux ecclésiastiques, mais ceux-ci sont obligés d’en concéder la jouissance matérielle au vassal que le roi a, par nécessité, « chasé » sur cette terre. Ainsi, le vassal doit payer une somme d’argent à l’église dont il occupe la terre, un « cens » qui montre que la terre ne lui appartient pas, mais il ne doit que le service militaire au seigneur, ou au roi. 
Ainsi, on assiste à l’une des subtilités juridiques de la féodalisation (ce qui est un paradoxe pour une époque qui ne garde quasiment aucun souvenir de la complexité de l’ancien droit, puisque les circonstances créent un nouveau type de contrat synallagmatique, mélange de la précaire et du bénéfice. La terre, est concédée au regard de l'Eglise, à titre de précaire, avec le paiement régulier d'une redevance, et au regard du roi, à titre de bénéfice, en réponse à un service militaire exécuté par le vassal

— l’affirmation du lien de fait entre vassalité et bénéfice

Au cours des 9ème et 10ème siècles, l’utilisation de la précaire et du bénéfice contribue à la multiplication des « chasements » de vaussaux dans le royaume carolingien, ou du moins, ce qu’il en reste, après le Traité de Verdun. Au-delà des vassaux du roi, on voit se multiplier les vassaux des comtes, les vassaux des ducs, et bientôt, les vassaux des vassaux, tous gratifiés par leur seigneur, d’une concession de terre, sous forme de bénéfice à titre viager, garantissant l’accomplissement de leur service militaire, et, implicitement, leur fidélité, qui s’exprime désormais sous la forme d’un serment de fidélité. Le paiement du cens par le vassal finit par disparaître complètement, inaugurant la distinction fondamentale entre la terre concédée à titre militaire et celle concédée à titre économique, séparant définitivement les vassaux nobles des exploitants roturiers. Désormais, le lien de fait est établi entre l’accomplissement du service militaire et la concession d’une terre à titre viager et gratuit

— la naissance effective du fief


Á ce stade, le mot « beneficium » qui demeure toutefois dans le langage des lettrés, disparaît, remplacé par le terme de « fief » qui s'impose rapidement. Les deux recoupent pourtant la même réalité, comme on peut le lire en 1087, dans un acte juridique du Hainaut : « Le bienfait (beneficium) que l'on appelle vulgairement fief ». 
Il faut savoir que le terme provient du vieux latin : « feodum », que l’on dit « feu » en provencal, d'où le terme de « feudataire » pour designer le vassal qui prend fiefLe fief devient le « chasement » du vassal par excellence. Et ce chasement devient systématique à la fin de l’époque carolingienne, même s’il n'y a pas incompatibilité avec les libéralités seigneuriales dont peut « bénéficier » ce même vassal, telles que les armes, les chevaux, les robes et les manteaux « de vair et de gris ». 

— l’époque capétienne : union de droit entre vassalité et fief. 

Lorsque s’ouvre le 11ème siècle avec l’usurpation du trône carolingien fatigué par un simple seigneur parmi les autres, la féodalisation atteint son apogée. Le « chasement » des vassaux sur les fiefs est devenu automatique en raison de l’accroissement exponentiel du nombre de vassaux et l’impossibilité pour le seigneur de les « entretenir » dans sa maison. Les anciennes « principautés » se sont fragmentées et « la France se hérisse de châteaux ». 
Le lien de fait entre vassalité et fief devient une union de droit, puisque la concession de la terre, de conséquence de l’entrée en vassalité, en est devenue la cause. Au 12ème siècle, la règle est clairement établie : pas de vassal sans fief. C’est le fief qui fait le vassal et, dans une certaine mesure, la noblesse

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