mercredi 25 mars 2020

L'histoire de l'affrontement entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel (ou Le Gallicanisme)




La naissance du gallicanisme

§ 1 – Définition du gallicanisme.

Il faut avant tout noter que le gallicanisme ne constitue pas unehérésie: l'autorité du Pape en matière de foi chrétienne, son autoritéspirituelle, ne fut jamais contestée par le pouvoir monarchique (même si on va le voir elle a été remise en cause, quant à sa prééminence, au sein même de l’Eglise). 
Ce qui est contesté par la doctrine gallicane, c'est l'autorité temporelle du Pape sur l'Eglise de France. En fait, le gallicanisme dispose que sur les plans temporels dediscipline, de gestion et d'organisation du clergé et des biensde l'Eglise de France, c'est le roi de France lui-même et lui seulqui dispose d'une autorité légitime. Le Pape ne peut intervenir que sur les questions qui relèvent de la spiritualité. C’est le volet « politique » du gallicanisme. 
De façon plus générale, le gallicanisme, comme on va le voir dans la section suivante, postule aussi la supériorité des conciles œcuméniques sur le Papeen tant qu’autorité suprême au sein de l’Eglise. C’est le volet « religieux » de la doctrine gallicane. 


Trois étapes fondamentales marquent l'évolution du gallicanisme

1- la « Querelle » entre Philippe IV le Bel et Boniface VIII qui se déploie à partir de 1296et dure jusqu’en 1303
2- le « Grand schisme » qui provoque le dédoublement de la Papautéen deux sièges, à Rome et en Avignon, et qui ne se résout que par la victoire des thèses conciliaires de 1303à 1415.
3- la « Pragmatique sanction de Bourges » prise par Charles VIIen 1438et qui a des conséquences importantes sur la consécration des thèses gallicanes et sera suivie d’une Concordat en 1516.

Avant d’assister à la naissance du gallicanisme, il nous faut rappeler la force historique de la théorie opposée, celle de la théocratie pontificalequi prône lasupériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. Une métaphore, tirée des Evangilesl’illustre parfaitement. Lors de La dernière Cène, juste avant son arrestation, Jésus est avec ses apôtres et sait qu’on va venir l’appréhender. Les apôtres se déclarent prêts à le défendre : « Seigneur, il y a justement deux glaives ». Jésus leur répond : « C’est bien assez » et, après que l’un de ses apôtres a frappé un  soldat romain (serviteur de l’ordre), en lui coupant l’oreille, Jésus interdit aux autres apôtres de s’interposer et d’utiliser l’autre glaive qui ne doit pas verser le sang et se laisse emmener vers sa crucifixion. De cet « extrait » découle une interprétation allégorique des pouvoirs, spirituel et temporel, chacun symbolisé par un glaive
Ces deux glaives/pouvoirssont réputés, dans la doctrine théocratique, avoir été remis à l’apôtre Pierre, le tout premier « Pape » de l’Eglise catholique (qui est toujours représenté tenant un glaive dans chaque main), à charge pour lui d’en conserver un lui-même, le glaive spirituel, et d’en remettre un aux rois, le glaive temporel, afin qu’ils puissent faire œuvre de coercition légitime. Avec cette double précision que le glaive spirituel est supérieur au glaive temporelet que l’un et l’autre doivent être utilisés « par et pour » l’Eglise, c’est-à-dire que le Pape a le pouvoir de contrôler l’usage qu’en font les rois et, le cas échéant, s’il juge cet usage non conforme aux valeurs de l’Eglise, il peut également retirer le glaive temporel des mains des rois. C’est l’idée majeure de la théocratie : le Pape est un intermédiaire entre Dieu et les puissances temporelleset il peut seul « déléguer » l’exercice du glaive temporel. La plus belle illustration de cette métaphore théocratique se trouve dans une bulle du Pape Boniface VIIIque nous allons présenter.

§ 2 – L’origine du gallicanisme : la querelle entre Philippe IV le Bel et Boniface VIII.

La cause première de ce différend entre Papautéet Royautéest purement vénale. Á la fin du 13èmesiècle, l'accroissement du budget de la Papauté, l'amène à lever des taxesappelées « décimes » sur les revenus des bénéfices ecclésiastiques en Europe. Le problème politique est que ce besoin d'argent se fait également sentir du côté du pouvoir temporel. Or, les prédécesseurs du pape Boniface VIII avaient permis au fils de Saint-Louis, Philippe III le Hardi (1270 – 1285), puis à Philippe IV le Bel qui lui succède, de lever également des décimessur le clergé pour payer la participation de la France aux croisades. Ce « précédent » amène Philippe IV le Belà décider de la « continuation » de cette taxe pour financer sa guerre personnelle contre l'Angleterre, à partir de 1296

âL'affaire s'aggrave rapidement en raison de la personnalité du nouveau Pape, Boniface VIII, qui entend faire « passer la doctrine théocratique dans les faits coûte que coûte », sans même tenir compte de l’évolution du contexte politique. La décision unilatérale du roi de France relative à la « levée » des décimes lui offre l’occasion rêvée de réaffirmer sa prééminence spirituelle et temporelle. Le Pape entend bien ôter cette prérogative fiscale des mains du pouvoir temporel. Mais c’est compter sans le caractère de Philippe IV le Belqui supporte fort mal, de son côté, l’immixtion de la fiscalité pontificaleen terre de France, qui implique l’existence d’un ordre administratif parallèle à celui mis en place par une royauté qui se reconstruit. 

En1296, le Pape publie la Bulle « Clericis Laicos »(notez que les « Bulles » pontificales sont des actes normatifs à valeur contraignante qui sont toujours identifiés par les deux premiers mots de leur exergue. Ils s’imposent théoriquement à toute l’Eglise et aux puissances temporelles). Dans sa Bulle, le Pape proteste contre les décimes « royales » et affirme que « la levée de tout subside extraordinaire sur le clergé est interdite aux princes » et précise également que le paiement de ces décimes illicites est « interdit aux clercs ». 

La même année, par une Ordonnance du 17 août 1296Philippe IV le Belréplique en interdisant toute sortie d’or ou d’argent du royaume de France, ce qui a pour conséquence d’entraver le fonctionnement de toute la fiscalisté pontificale. Ainsi, de 1297 à 1299, les annates(taxes annuelles prélevées sur les églises de France par la Papauté) sont bloquées. 

C’est le début de la dispute « entre le Clerc et le Chevalier » qui constitue l’affrontement le plus important entre l’Eglise et le Roi, de l’aube du 14èmesiècle. En 1298, lorsque le Pape propose au roi de France d’arbitrer le conflit entre la France et l’Angleterre, Philippe IV le Bellui répond que « le gouvernement du royaume de France appartient au roi et à lui seul » et qu’en l’espèce le roi « ne connaît pas de supérieur ». De son côté, Boniface VIIIinstauré les fêtes du « Jubilé » (année sainte) en 1300et met en scène sa majesté spirituelle en faisant porter devant lui, en grande pompe, les deux glaives symboliques du Spirituel et du Temporel. Boniface, exalté, « fait la leçon aux princes et leur parle avec dédain ». Mais cela n’impression guère le roi de France. 

En1301l’arrestation de l’évêque de Pamiers(entre Toulouse et Perpignan) Bernard Saisset, fournit le prétexte à une nouvelle confrontation entre le Clerc et le Chevalier. Le prélat est accusé d’avoir pris part à un complot destiné à soulever les provinces du Midi contre la Couronne. Or, Bernard Saisset est un proche de Boniface VIII et ce dernier prend son arrestation, à tort ou à raison, comme une provocation directe de Philippe IV le Bel. D’autant plus que le roi de France entend faire juger le prélat par un tribunal royal, au mépris du « privilège du for » qui prévoit une compétence exclusive des juridictions de l’Eglise pour le jugement des clercs. 

La même année, Boniface VIII, par la Bulle « Ausculta Filii », multiplie les formules tranchantes pour exprimer son désaccord face aux exactionsdu roi de France. Il y exprime aussi la supériorité de son pouvoir. Mais la nouvelle Bulle n’impressionne nullement le souverain français, pourtant sommé de comparaitre devant le Pape. On prétend même que ce assaut théocratique est raillé à la cour et que le texte pontifical aurait été brûlé dans les rues de Paris… C’est le début du sursaut nationalqui équivaut à celui de Bouvines, non plus sur le plan militaire, mais sur celui directement politique. 

En1302le 10 avril, le roi de France riposte en réunissant une assemblée générale des trois ordres de la société française: prélats, barons, bourgeois, vont approuver sa ligne politique. Historiquement, c'est la première réunion des Etats Généraux. Les légistes royaux y font valoir la thèse politique selon laquelle, « le roi de France ne tient son royaume que de Dieu ». L'assemblée approuve à l’unanimité. C’est la première fois que le clergé français fait corps avec son roi contre la Papauté

Mais, le Pape Boniface VIIImaintient sa propre théorie dans une nouvelle Bulle « Unam Sanctam », en novembre 1302. Selon lui, le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel sont tous deux sous l'autorité de l'Eglise de Rome. Il s’appuie cette fois-ci expressément sur la théorie des deux glaives, le temporel et le spirituel, distincts mais hiérarchisés: le pape, détenant le glaive spirituel, peut retirer le glaive temporel aux rois qui en font mauvais usageau regard des préceptes de Dieu. Car les deux glaives doivent être utilisés « par et pour l’Eglise ». C’est la plus parfaite illustration de la Théocratie pontificale, vouée à contrer les prétentions à l’indépendance de Philippe IV le Bel et de l'Eglise de France. Par cette Bulle pontificale, Boniface VIIIs'efforce de subordonner le pouvoir temporel du roi de France au Saint-siège, comme d’ailleurs tous les pouvoirs politiques détenus par les princes séculiers de l'Occident médiéval. Son but est de réunifier l'Occident sous la bannière du christianisme, comme l'avaient fait les empereurs sous la bannière de Rome. 

Mais son combat, ainsi qu’on l’a dit plus haut, est « anachronique » car l’ère de l’universalisme et des Empires est révolue. C’est désormais le « grand éveil des nations et des Etats » qui caractérise ce 14èmesiècle commençant. Et l’échec  retentissant d’un Pape dogmatique, malgré la menace d’excommunicationqui plane sur le roi de France, va en constituer la preuve irréfragable. Trop vieille est la sanction contenue dans la troisième Bulle pontificale pour faire fléchir le roi de France, comme avait fléchi l’Empereur en 1077 à Canossa. La Papauté qui avait vaincu l’Empire au 11èmesiècle, va cèder face à un Etat émergent, une Nation balbutiante. La France, pourtant réputée «  fille aînée de l’Eglise » vient d’apprendre à dire « non ». 

La fin de la confrontation entre Philippe le Bel et Boniface VIIIse fait à l’avantage de la royauté, malgré la force juridique des arguments pontificaux : Philippedécide, avec l'appui des Etats Générauxde faire notifier à Bonifaceune accusation pour hérésieet le somme, à son tour, de comparaître devant un concile d'évêques françaisqui le jugera et, sans doute, le déposera. Le vieil ecclésiastique est la cible d’accusations infâmantes (hérésie, mauvaises mœurs, vénalité, meurtre, détournement de fiscalité, etc). Forte de l’appui de l’opinion populaire, « l’autorité royale couvre tout ».
Le roi de France envoie son meilleur légiste, Guillaume de Nogaretà Rome pour s’assurer de la présence du Pape à son jugement.Conscient des dangers qui pèsent sur la monarchie française s’il laisse le temps à Boniface VIII de réagir et de prononcer son « anathème » (= excommunication) contre Philippe IV le Bel, Guillaume de Nogaret use de la force sans scrupules.Arrêté, maltraité lors de l’attentat d’Anagnile 7 septembre, Boniface ne résiste pas au choc, malgré l’intervention de troupes romaines qui le libèrent des français. Le Pape meurt quelques semaines plus tard, le 11 octobre 1303

Ce qui marque la victoire politique de Philippe IV le Bel, qui lui permet d’imposer le successeur de Boniface VIIIClément V, un pape français dont l’un des premiers actes est d’innocenter le roi de France de toute implication dans la mort du précédent pontife et de lever la condamnation canoniquequi pesait sur lui. Ce triomphe du Chevalier sur le Clerc, plus politique que juridique, se traduit par la mise à l’écart de l’Eglise, « refoulée hors du temporel ». Le roi de France gouverne souverainement. Quant à l’Eglise de France, elle devait encore connaître des crises et entrevoir, avant de la perdre irrémédiablement, sa liberté.

Le grand Schisme d’Occident

La deuxième « étape » qui vient structurer le gallicanisme nait, en fait, d'une question strictement interne à l'Eglise (= gallicanisme religieux), un problème de droit canonique, voire de pure théologie : qui, du Pape ou du concile général d'évêques, a l'autorité souveraine dans l’Eglise ? Un concile oecuménique est-il supérieur au Pape ? Un concile peut-il juger le Pape et le déposer ?Pour répondre à cette question, qui rebondit sur le gallicanisme politique, il faut d’abord présenter les causes du « Grand Schisme » entre les deux papautés de Rome et d’Avignon (§ 1) avant d’en montrer la résolution qui passe par la mise en avant de conciles « œcuméniques » restés célèbres dans l’histoire de l’Eglise catholique (§ 2)

§ 1 – La papauté d’Avignon contre la papauté de Rome.

AvecBoniface VIII, le dernier des grands assauts de la théocratie était venu buter contre la monarchie capétienne. Après le « bref » pontificat deBenoit XI, du 11 octobre 1303 au 7 juillet 1304, qui, bon gré mal gré, accepte la fiction de l’irresponsabilité du roi de France dans l’affaire d’Anagni, avant de mourir, peut-être empoisonné, c’est le français Clément Vqui devient pape en 1305. Ce pape est sous l’influence directe du roi de France. D’ailleurs, il est moins souvent à Rome qu’en France. C’est « un pape français entouré de français », au service de la monarchie capétienne. 

Mais, à la suite du procès des Templiers, et de la suppression de cet ordre monastique né des Croisades, en 1312, la Papauté met fin à son exil en France, à cette « captivité de Babylone » et retrouve le siège romainavec le pontificat de Grégoire XI, nommé à Avignon en 1376et entrant dans Rome en 1377. Le refus des avignonais de céder face à Rome sera la cause du Grand Schismequi divisera la Papauté durant quelques quarante années

L'origine du Grand Schisme se situe en 1378, après la mort de Grégoire XI, année funeste pour l’Eglise qui est confrontée à l'élection quasi-simultanée de deux Papes, qui reflète, outre les tensions internes à l’Eglise elle-même, la montée d’un nationalisme italien qui est exaspéré par la mainmise française sur la Papauté. C’est pour la Papauté (en tant qu’institution) une épreuve plus humiliante encore que la « querelle » du siècle précédent. D'autant plus que le monde politique temporeltout entier prend position dans cette rivalité entre Rome et Avignon : 

   l'empereur et le roi d'Angleterre optent pour Urbain VI à Rome
  le Roi de France Charle Vdéfend Clément VII à Avignon

Se pose dès lors la question du règlement de ce conflit.
L'une des solutions consiste en la déposition de l'un des Papes.
Celui italiende Rome, élule 8 avril 1378, sous la pression populaire.
Celui françaisd’Avignon, élu le 20 septembre, avec l’aval de la monarchie


Le « schisme » ainsi crée n’aurait pas duré s’il n’y avait eu le problème des « obédiences », symptômatique du fait que la politique s’en est emparée, prolongeant le combat des nationalismes au sein de l’Eglise dont « l’universalité » traditionnelle ne correspond plus aux réalités nouvelles. Ainsi, le roi de France donne son obédience (= obéissance spirituelle) au pape français, tandis que l’Angleterre, l’Italie et l’Allemagne ne reconnaissent que l’autorité spirituelle d’Urbain VI, à Rome. Du coup, deux autorités concurrentes sont légitimées. La période qui s’ouvre est marquée par les rivalités et les luttes de pouvoir à tous les degrés de la hierarchie ecclésiastique, des paroisses jusqu’aux Curies (= cours pontificales), romaine ou provençale. Et on entend déjà parler du rôle modérateur des conciles d’évêques, qui interviennent lors des « vacances » de l’un ou l’autre siège. De plus, forte de sa situation prépondérante dans le monde intellectuel, l’université de Paris entreprend de résoudre le confliten faisant pression sur la cour vacillante de Charles VI, le roi fou, afin qu’il accepte de retirer son obédience au Pape françaiset qu’ainsi l’Eglise retrouve son unité.

En1394, à la mort du pape français Clément VII, le nouveau pape, Benoit XIII, promet de tout faire pour régler le problème : « j’aurai aussitôt fait de déposer mon pouvoir que d’enlever ma chape ». Mais, en 1398, lorsque le roi de France prononce solennellement une « soustraction d’obédience », il refuse de céder : « plutôt la mort ». Un concile d'évêques français intervient et décide que l’Eglise de France cessera d'obéir à Benoit XIII tout en restant neutre. Mais, cela ne suffit pas à résoudre la question, d’autant plus la « soustraction » péniblement arrachée au roi de France est annulée en 1404

Unnouveau concile d'évêques français, réuni en 1406, prend le contrepied du précédent et, loin de réclamer le départ du Pape, affirme l'indépendance de l'Eglise de France quant aux regles disciplinaires: l'Eglise « gallicane » veut être la propre source de son droit (glissement ver un gallicanisme de plus en plus politique). Les pressions politiquess’exercent désormais indifféremment sur les deux Papautés : « que les rivaux s’entendent donc entre eux ! ».

La tentative menée par les docteurs de l’Université de Paristourne vite à la « comédie dérisoire ». C’est le colloque manqué de Savoneauquel se rendent les Papes Benoit XIIIet Grégoire XII, dont l’intransigeance n’a d’égale que le rigidité psychologique, chacun rejetant sur l’autre l’entière responsabilitédu Schisme. Cela joue en faveur des thèses concilaires, puisque, d’évidence, « le souverain pontificat mène l’Eglise dans l’abîme ».

§ 2 – La mise en avant des conciles œcuméniques.

En1409le Concile de Pise, composé de quinze cardinaux tenant des deux obédiencesen lice et déniant toute légitimité aux deux papes rivaux, procède leur déposition et à l’élection d’un troisième PapeAlexandre V. Le nouveau Pape, hélas, ne parvient pas à s'imposer, malgré le Décret de Gratien(jurisconsulte romain) dont l'argument juridique autorise le concile oécuménique à déposer le pape qui, par ses agissements contraires aux intérets et à l'unité spirituelle de l'Eglise, se serait rendu coupable de déviation et d'hérésie(ce qui parait être le cas des deux premiers papes, campant chacun sur leur position et divisant de fait l' Eglise). L’obstination de Rome et d’Avignon aggrave la situation, rendant le schisme « tricéphale ». 

La solution viendra d’un homme et d’un Conciledont il permet la réunion. Sigismond d’Autriche, roi de Hongrie, donne asile au Pape Jean XXIII, qui est le successeur d’Alexandre V, mort en 1410. Il obtient le ralliement de la France et, grâce à sa protection, le Pape à la double légitimité, romaine et avignonaise, parvient à prendre l’initiative d’un nouveau concile dans la ville de Constance où vont se tenir « les grandes assises de la chrétienté ». 

En1415, le concile déterminantréuni à Constance, se fondant cette fois-ci sur le Droit naturel, pose le principe selon lequel un concile oecuménique représente l'autorité suprême dans l'Egliseau-dessus du Pape, qui, somme toute, n'est qu'un représentant au service de l'Eglise une et universelle, et non son souverain. Pour son salut et sa pérennité, l'Eglise peut, par une assemblée générale, déposer un Pape récalcitrant. Sur la base de cette argumentation, mi-juridique, mi-théologique, le Concile de Constancedéposa tous les papes rivaux (Jean XXIIIGrégoire XII et Benoit XIII) et les remplaça par un autre, élu par les pères conciliaire : Martin V.

C'est la fin du Grand Schisme, après 37années de lutte d'influence acharnée, obtenue par la victoire des thèses conciliaires, qui, en affaiblissant la Papauté institutionnelle, permet la consécration du gallicanisme politique. Désormais, la Papauté est sous l’emprise des conciles qui jugent et déposent les Papesqui s’obstinent ou qui font preuve d’une trop grande ambition personnelle. Mais les pères conciliaires ne peuvent pas de contenter d’avoir « réduit » le schisme, il leur faut également régler la question de la constitution interne de l’Eglise de France, ce qu’ils feront avec l’aide de la monarchie. 

La victoire du gallicanisme

Cette consécration opérer un nouveau glissement du gallicanisme religieux au gallicanisme politique. Elle se fait en trois temps : d’abord par le Concile de Bâle, puis par la Pragmatique Santion de Bourges, enfin par le Concordat de Bologne qui accomplit la destinée des deux « monstres politiques » des temps modernes : l’Eglise et l’Etat. 

§ 1 – Le Concile de Bâle de 1431.

Après la publication des décretsdu Concile de Constance, selon lesquels, le Pape n’est plus qu’un pouvoir exécutif au sein de l’Eglise, soumis au contrôle de conciles régulièrement réunis (decret « Frequens », 39èmesession, 1417),un nouveau concilese réunit à Bâlele 23 juillet 1431, pour mettre en oeuvre la réforme administrative de l'Eglise, pourvoir ainsi à la défaillance des papes. 

On y réaffirme la supériorité du concile œcuménique sur le pape: le concile ne peut « dévier ». On y envisage même la possibilité d'appel devant le concile d'une décision du pape en matière de foi. Le pape reste soumis à l'Eglise universelle assemblée en « synode » (même s'il a autorité sur les eglises locales). Le concile de Bâle opère une réforme gallicaneen rétablissant l'ancien mode de provision des bénéfices ecclésiastiques :


1- Les bénéfices supérieursredeviennent électifs.
2 - Les bénéfices inférieurssont collatifs(attribués).

Tous les procédés d'immixtion de la papautéautant dans la fiscalité que dans l'administration de l’Eglise de France, comme les décimeset les réservespontificales, sont supprimés.
A présent, l'enjeu politique est la garantie des libertés de l'Eglise gallicane, et l'on retourne sur un terrain plus strictement politique et concernant directement la France. La question-clef redevient la collation(acte de conférer ou d'attribuer) des bénéfices ecclesiastiques, et c'est sur ce point très technique que va intervenir la Pragmatique sanction de Bourges, sans doute déclenchée par la volonté du roi de France de régler la question à son avantage

En effet,  le Pape en exercice, Eugène IV, même s’il accepte, bon gré mal gré, l’autorité du concile, comprend que l’orgueil des pères conciliaires, bien décidés à tout réglementer jusqu’à disposer librement de tous les revenus de l’Eglise, peut les perdre. En effet ni le Pape, ni le roi de France, n’ont intérêt à voir s’établir une Eglise totalement indépendante de leur autorité politiqueet déployant une fiscalité parallèle. Il y a donc des points où les revendications outrées du Concile peuvent faire « basculer » la monarchie française du côté e la Papauté. Eugène IV, jouant sur cette « faille » du gallicanisme, dissout le Concile de Bâle en 1437, provoquant l’intervention de la France.

§ 2 – La Pragmatique Sanction de Bourges de 1438.

Les « survivants » du concile de Bâle répliquent en déclarant que le pape est  suspendu de ses fonctionset en réfèrent , comme Eugène l’avait prévu, au roi de FranceCharles VII. Les légistes royaux françaisvont, une fois de plus, légitimer juridiquement l'action du roi. 

Charles VIIconvoque à Bourgesle 1ermai 1438, le clergé français, alors très nationaliste, pour le consulter « sur le fait du concile et du pape ». Des ambassadeurs du Pape(légats pontificaux) et des représentants des Bâlois(pères conciliaires) viennent se joindre à cette assemblée pour y plaider leur  cause respective, devant le roi de France, dont l'autorité est au plus fort, après les victoires contre l'Angleterre et l’unification du Parlement et de l’Université autour des thèses gallicanes

Le roi de France devient littéralement un arbitre, alors même qu’il est l’une des parties à l’affaire. Il a désormais un pouvoir souverain assez reconnu pour contrôler la situation. 

Dans une ordonnance célèbre, dite « la Pragmatique Sanction de Bourges », prise le 7 juillet 1438, le roi de France affirme tout d’abord son accord avec les pères conciliaires quant au retour au système traditionel de collation des bénéfices ecclesiastiques, ce qui a pour avantage de réduire à néant l'emprise temporelle de la Papauté sur l'Eglise de France. 
Mais,Charles VIIajoute, qu'au sein même de l'Eglise de France, collateurs et électeursdevront toujours tenir compte des « recommandations » qu'il leur adressera. En somme, il s’agit de l’affirmation indirecte d’un pouvoir de nomination royal. 

C'est l'expression la plus achevée du gallicanisme officiel.

En1439, cette ordonnance est enregistrée par le Parlement qui se pose lui-même en défenseur de l'Eglise gallicane. La fiscalité romaine est brisée, au grand dam d’Eugène IV qui, pourtant, a réussi a « enrayer » la marche vers l’indépendance de l’Eglise de Francequi, désormais, tombe dans la coupe de l’autorité royale, avec la pratique des « recommandations ». En fait, sinon en droit, la nomination des évêques tombait entre les mains du roi de France. La réalité est que Charles VII devient « maître des bénéfices » et finit par servir, pragmatiquement, plus ses intérêts que ceux des pères conciliaires qui tombent de Charybde en Scylla, échangeant une domination traditionnelle contre une mainmise temporelle.
Toutefois, cette ordonnance royale fut appliquée assez irrégulièrement. De plus Eugène IV n'accepte pas les conséquences fiscales de cette Pragmatique, qui ne faisait que reprendre les décisions d'un concile que le souverain pontife avait lui-même renié, et continue à nommer ses propres évêques.

Deuxsourcess'affrontent quant à la collation des bénéfices ecclésiastiques et c'est bientôt le chaos. Aussi, une solution est recherchée par l'intermédiaire d'un Concordat.

§ 3 – Le Concordat de Bologne de 1516.

Unpremier concordat, passé entre Eugène IV et Charles VII échoue, sans grande surprise, considérant la personnalité des protagonistes, fossoyeurs de l’indépendance de l’Eglise de France au nom d’intérêts matériels.

Undeuxième concordat, dit d'Amboise, passé en 1472, entre Sixte IVet Louis XIpropose l'abrogation de la Pragmatique,  mais le Parlement de Paris, qui se pose en défenseur du gallicanisme,  en refuse l'enregistrement.

L'accord entre la Papauté et la Royautén'est donc réalisé qu'au début du siècle suivant, par le Concordat de Bolognede 1516. Cet acte est conclu entre François Ier (1515 – 1547)et le pape Léon X (1513 – 1521), peu après la bataille de Marignan(13-14 septembre 1515) contre les armées italiennes, éclatante victoire militaire qui accroit le prestige du roi de France, désormais souverainincontesté et monarque absolu

Ce concordat maintient le système traditionnel de collation des bénéfices mineurs(nomination, donc favorable aux thèses gallicanes), sous réserve de certaines exceptions admises en faveur du Pape, du roi de France et des cours souveraines. Par contre, l'élection pour les bénéfices supérieurs est définitivement écartée: ces bénéfices sont désormais conférés par le roi de France. Il dispose d’un pouvoir de nomination direct, qui ne se dissimule plus sous le masque des recommandations. 

Le pape, quant à lui, se borne à vérifier l'aptitude canonique des nominéset à conférer l'investiture, par des lettres de provision. Mais, rétablissement d’importance, il conserve son droit de percevoir les annates(taxes annuelles), ce qui rétablit partiellement la fiscalité pontificalesur l’Eglise gallicane.

C’est la « fin des illusions » pour l’Eglise de France, dont la liberté, à peine conquise déjà perdue, n’a été qu’un rêve fugace. Elle est désormais soumise, sur les plans temporels d’administration, de gestion, de fiscalité, entre le roi de France et le Pape. 

Ce concordat abroge la Pragmatiqueet écarte partiellement les anciens canons. A ce titre, il sera critiqué par les gallicans, tant clercs, qu'universitaires, et le Parlement de Paris ne consentit à l'enregistrer qu'en 1518. Mais, il reste que son mérite est d'avoir su rétablir l'équilibre entre les pouvoirs des deux « monstres politiques » de l'époque : l'Eglise et l'Etat

Quant à l’Eglise de France, elle fut, à l’instar de la Nation, intégrée à l’Etat monarchique, au nom du processus de centralisation et d’uniformisationqui est la marque de l’absolutisme



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