mercredi 25 mars 2020

L'histoire de l'affirmation de la loi royale...



Section 1 – Le roi, Gardien des Coutumes 


§ 1 – La rédaction officielle des coutumes. 

Sous prétexte de bonne administration de la Justice, et arguant de la difficulté de la preuve des coutumes devant les juridictions royales, le roi Charles VII, par une ordonnance de « Montils-lez-Tours » d’avril 1454, en son article 125, ordonne la rédaction officielle de l’ensemble des coutumes de France, ce qui va avoir des conséquences majeures tant sur les plans juridique que politique. 
1454 est l'une des dates-clefs de l'histoire du droit français. Elle symbolise la charnière entre le pluralisme juridique caractèristique de la féodalité et de la monarchie tempérée et le centralisme, puis l'unification juridique en écho à l'unité du souverain et de l'Etat. 
A cette époque et bien que Philippe le Bel ait très tôt (en 1312) affirmé que le royaume de France « est régi principalement par les coutumes et les usages », on se rend compte que le foisonnement et la diversité des coutumes entraine des difficultés pratiques d'administration de la justice de plus en plus nombreuses, entraînant des difficultés insurmontables pour les plaideurs. 

Ce constat et la poussée d'un droit romain réorganisé et de plus en plus clair, amènent le pouvoir royal à intervenir pour la première fois dans la l'application et la rédaction des coutumes régissant les droits privés des individus. 
Le principe d'une rédaction officielle est donc décidé en 1454, par le roi Charles VII, qui a constaté que l'incertitude et la diversité des coutumes obligent les plaideurs à prouver celles-ci par de longues enquêtes* ; ce qui augmente de façon démesurée le coût et la durée des procès. 

* La preuve des coutumes : dès le début du Moyen-Age, la preuve de coutume a posé problème aux plaideurs : l’administration de la preuve d’une loi est très facile, mais celle de la preuve non seulement de l’existence, mais aussi du contenu d’une règle juridique coutumière, et de surcroît orale, est beaucoup plus délicate. Cette difficulté est toutefois amoindrie par le fait qu’en général les juges locaux sont choisis parmi les personnes les plus qualifiées du groupe social, celles qui connaissent le mieux le contenu de ladite coutume. Les premiers moyens de preuve furent les ordalies, le jugement de Dieu. Mais, heureusement ces modes de preuve totalement irrationnels, furent rapidement abandonnés au profit d’un mode de preuve non seulement rationnel, mais spécifique à la coutume : l’enquête par turbe, à partir du 13e siècle. L’enquête par turbe demeure le plus connu des modes de preuve classiques de la coutume au Bas-Moye,-Age, avant les rédactions officielles : selon la procédure, fixée dès 1270 par une ordonnance de Louis IX, le soin de « dire la coutume » est réservé à des « turbiers », personnes au-dessus de tout soupçon et spécialement réunis à effet de prouver l’existence d’une coutume locale. Les « turbiers » devaient toujours être réunis par 10, formant une « turbe » (une « turba » en droit romain, désignait une multitude de 10 à 15 personnes mêlées à des troubles). Ils prêtaient serment de dire exactement ce qu’ils savaient de la coutume invoquée, de son existence elle-même à son contenu, le plus précisément possible. 

Jusque là il n'y avait eu que des rédactions privées et surtout partielles des coutumes, très régionalisées et aucune tentative de codification générale. 
Les rédactions officielles ne commencèrent que lentement. Mais, à long terme leur portée apparaît extremement importante : en fait l’ordre officiel de rédaction des coutumes a pour principal effet de changer la nature juridique profonde des coutumes. La procédure et les critères de cette rédaction montrent bien ce but centralisateur de l’Etat monarchique et la volonté royale d'unifier le droit privé coutumier. 

1 - La procédure de la rédaction officielle des coutumes : 

1 - Les officiers royaux (baillis, sénéchaux, commissaires) animent et encadrent la procédure de rédaction, en plusieurs étapes : 
2 - Une commission de notables locaux et de praticiens du droit (présidée par le bailli ou la procureur général du Parlement) procède à des travaux préparatoires en réunissant la documentation nécessaire. 
3 - Cette même commission prépare un projet de rédaction des coutumes locales 
4 - Ce projet est soumis à l'approbation d'une assemblée tripartite 
réunissant les trois ordres du bailliage ou des Etats provinciaux 
(particuliers). Chaque article est lu et discuté.
5 - Les commissaires royaux (choisis parmi les membres du Parlement) 

interviennent pour aplanir les désaccords.
6 - Le texte approuvé par les trois ordres est officiellement publié par 

les commissaires royaux et les articles « discordés » (discutés) sont envoyés au Parlement qui tranche avec une autorité égale à celle des trois ordres. 
7 - Le roi confère, par sa sanction, une force obligatoire au texte et donne ainsi valeur de loi à la coutume rédigée. 

2 - Les critères de la rédaction officiel, à travers un exemple précis : 

Les Lettres patentes de Charles VIII ordonnent la poursuite de la rédaction des coutumes, le 15 mars 1497. Ce texte royal officiel porte acte des premières rédactions effectives des coutumes dans le cadre fixé par l'ordonnance de Montils-les-Tours de 1454. 
Tout comme dans l'ordonnance de Montils-les-Tours, le souci d'une meilleure administration de la justice est le prétexte à cette entreprise de rédaction. Le roi Charles VIII parle des doléances qui lui ont été faites « sur la preuve des Coustumes de nostre Royaume » invoquées à l'appui des prétentions des parties dans tel ou tel procès. Il s'agit de mettre fin aux nombreuses «fautes et abus», nés des confrontations devant une même juridiction de coutumes différentes et surtout imprécises, de telle sorte que « nos baillis, seneschaux et autres nos juges ont esté en grand difficulté d'asseoir jugement pour la contrariété et diversité d'icelles coustumes ». 

Deux problèmes doivent donc être résolus : 
1 - la difficulté de preuve des coutumes, trop diverses et trop imprécises 
2 - la longueur subséquente des procès qui entraine, au détriment des parties en cause, « des grands frais, mises et dépens ». 

La seule solution pratique «pour obvier ausquels inconvéniens» est la rédaction des coutumes : la fin des incertitudes quant au contenu de la coutume, permettra une preuve facile et rapide qui réduira significativement la durée et donc le coût des procès. Ce qui rendra par là-même, la justice plus accessible à tous, plus équitable et plus sûre. La procédure de rédaction correspond trait pour trait à celle que nous avons déjà analysée : la rédaction est entreprise sur ordre du roi, adressé sous forme de lettres patentes au 
principal officier royal de la circonscription dont la coutume doit être mise par écrit, le plus souvent le bailliage et plus rarement la province. Cet ordre prescrit au bailli de faire un avant-projet avec le concours des praticiens de son siège. des commissaires royaux, choisis parmi les parlementaires, examinent ce texte et soumettent le projet revu par eux à une assemblée de publication composée des représentants des trois ordres du pays concerné. Le texte est discuté article par article : si les trois ordres approuvent un article, celui-ci est dit "accordé" et il est adopté immédiatement; si, au contraire, un article est "discordé", le consensus ne se faisant pas, le différend est soumis au Parlement qui tranche souverainement. Enfin, des lettres patentes de confirmation viennent sanctionner la coutume ainsi rédigée. 


§ 2 – Le sens juridique et la portée politique de la rédaction des coutumes. 


􏰀 L’ordonnance transforme/nove les coutumes en droit royal. Désormais, elles ne vont plus tirer leur force obligatoire du consentement populaire, mais de la sanction royale, comme les ordonnances de législation classiques. Et, le bénéficiaire direct en est l'Etat monarchique centralisateur, qui peut désormais contrôler le contenu et l'application des coutumes. 

1 - Le sens juridique de la rédaction : 

1 - le texte rédigé a un caractère définitif, légal, et général
2 - les coutumes perdent leur caractère spontané et évolutif
3 - les coutumes deviennent une partie du droit royal (et ne peuvent plus représenter une limite à l'application du pouvoir royal dans les provinces).
4 - seul le roi peut modifier le texte rédigé (le texte est enregistré sous la même forme que pour les ordonnances royales, les lettres patentes) 

5 - on établit une hiérarchie des normes coutumières : les coutumes d'ordre général sont d'interprétation large et l'emportent sur les coutumes locales, d'interprétation stricte. 

2 - La finalité politique, selon les critères de la rédaction : 

1 - réduire les incertitudes et la diversité des coutumes, sous un prétexte de meilleure administration de la justice (voir également l’ordonnance de Villers-Cotterets, 1539) : toutes les coutumes ne sont pas rédigées, ce qui en réduit la diversité. D’ailleurs, la rédaction appartient largement au personnel judiciaire, dont la connaissance des coutumes se limite au contentieux qui parvient jusqu'à eux, cad surtout celui des hautes sphères de la société. 
2 - les usages ruraux tiennent une place moindre dans les textes alors que les usages de la bourgeoisie et de la noblesse sont sur-représentés.
3 - on veut élaborer un droit commun coutumier : on met donc l'accent sur les élements de convergence, plutôt que sur les différences entre les coutumes locales. 

4 - la coutume de Paris est largement avantagée, parce qu'elle est la plus consensuelle et aussi parce qu'elle correspond au siège du pouvoir central.
5 - conclusion : c'est la réduction du pluralisme juridique au profit du pouvoir royal centralisé. L'ambition, comme l'exprime Loisel, est d'uniformiser la loi applicable en écho à l'unité souveraine du pouvoir monarchique. 


C’est la réduction définitive du pluralisme juridique : la rédaction des coutumes les fait disparaitre en tant que sources du droit autonomes. C’est l’uniformisation du droit, qui exprime la victoire du centralisme juridique, qui va de pair avec l’avènement d’un Etat et d’une administration centralisés. Le roi sera désormais le « Gardien des Coutumes », pour ne pas dire qu’il en est l’auteur (ou le fossoyeur), au nom de centralisme. 


                                                 Section 2 – Le roi, Législateur 



La première chose qu’il faut noter dans cette section, est que le développement du droit royal marque une évolution importante dans les sources du droit et vient notamment concurrencer la coutume, en tant que source principale du droit. 

On assiste, sous l’Ancien Régime, à une transformation des sources du droit telles qu’elles se présentaient pendant le Moyen Age. Même si la coutume, et c’est un point fondamental à noter, reste jusqu’au 17ième siècle, le fondement du droit privé, le processus de rédaction officielle des coutumes, entamé au 15ième siècle avec l’Ordonnance de Montils-lez-Tours, tend à transformer peu à peu les coutumes en droit écrit, et plus largement en droit royal. La signification politique et juridique de cette transformation est très importante: la monarchie cherche à unifier le droit applicable à ses sujets. 
Mais, l’essor du droit royal ne peut se faire que par étapes successives, et le droit privé reste, du moins en théorie, un droit coutumier, pratiquement jusqu’à la fin de l’Ancien Régime ; en revanche, le droit public est très vite « récupéré » intégralement par la législation royale, dans le but de procéder à de grandes réformes institutionnelles visant à renforcer le pouvoir monarchique, et par ricochet l’Etat lui-même. 
Il s’agit donc d’étudier une législation royale qui connaît des limites, au départ strictes, puis de moins en moins respectées, jusqu’à ce que le pouvoir législatif ou le pouvoir normatif du roi, c’est-à-dire, sa capacité à édicter des normes contraignantes et d’application générale, appelées « ordonnances », finisse par lui permettre d’occuper toute la scène juridique. 


§ 1 - Le développement progressif du pouvoir normatif du Roi. 


Le pouvoir normatif du roi suit pas à pas les étapes de la renaissance difficile de la monarchie et de l’Etat centralisé : au fur et à mesure que le pouvoir politique du Roi parvient à émerger de la féodalité, la Justice et la Loi royales deviennent de plus en plus fortes, de plus en plus omniprésentes. 

Toutefois, il faut rappeler que le pouvoir normatif des rois a préexisté à l’emprise féodale : ainsi les rois carolingiens légiféraient par l’intermédiaire des « capitulaires ». Le dernier capitulaire carolingien a été édicté en 884, c’est- à-dire peu de temps avant que l’alternance dynastique ne commence à jouer, et que la crise politique ne favorise la montée au pouvoir des capétiens. 

La féodalité en s’enracinant en Europe, a eu pour principale conséquence le morcellement territorial (nous l’avons évoqué) et surtout la disparition des lois royales : le démembrement de l’Empire carolingien et la montée des pouvoirs locaux, principautés, puis seigneuries, entraîne l’éclatement de l’autorité politique du roi, et sur le plan juridique, la dispersion du pouvoir d’édiction des normes : sous la féodalité, ducs, comtes et même des évêques, tous des grands propriétaires tenant des régions entières sous leur autorité, s’arrogent le droit de faire des lois. Bien que tous soient en théorie des vassaux du roi, ils n’ont pas à redouter un quelconque contrôle politique ou juridique de la part d’une monarchie qui parvient à peine à survivre et à régner sur son petit domaine royal. Et, c’est pourquoi, les toutes premières « ordonnances » n’ont pas été prises par la monarchie elle-même, mais par des petits potentats locaux, qui se sont affranchis de l’autorité royale. On peut également évoquer, autre terme pour désigner un tel pouvoir normatif, les « établissements ». 

Le premier véritable signe de l’émergence ou de la résurgence d’un pouvoir législatif royal et unitaire, intervient au milieu du 12ième siècle : plus précisément, c’est une ordonnance royale de 1155, prise par Louis VII, qui impose une « paix du roi » sur tout le territoire du royaume, y compris sur les domaines des grands seigneurs. Cette première manifestation du pouvoir législatif du roi retrouvé, aurait été le fruit d’une intervention de Louis VII devant une assemblée composée de barons et de prélats, tenue à Soissons, le 10 juin 1155, à l’occasion de laquelle, le roi « institue, à la prière du clergé et avec le consentement des barons», une paix de 10 ans «pour tout le royaume ». Ce premier acte législatif est d’application générale et rédigé au nom du roi, même s’il a fallu obtenir auparavant le consentement des barons et leur engagement à la respecter et à la mettre en œuvre, avant sa promulgation effective : c’est la première ordonnance royale post-féodale, certes faiblement imposée, mais tout de même effective : la paix est décrétée pour dix ans, à l’intérieur des limites du royaumes, entre les différentes principautés locales. 

Mais, c’est surtout avec l’avènement de Philippe-Auguste (1180-1223) que le pouvoir législatif du roi va retrouver toute sa signification, en réussissant à s’affranchir progressivement du « contrôle » des grands du royaume, c’est-à- dire, de l’obligation de recueillir leur avis conforme, ou leur consentement, à la mesure envisagée par le Roi. La personnalité et les victoires militaires de Philippe-Auguste sont pour beaucoup dans sa tentative réussie d’imposer sa législation à tous les grands vassaux de son royaume. Notamment, sa victoire militaire à Bouvines, le 27 juillet 1214 contre l’empereur germanique et ses alliés, a certainement contribué à rehausser l’image du Roi, et à structurer, pour la première fois, une conscience nationale autour de la monarchie. 

Bien entendu, cette évolution est très progressive, et les successeurs de Philippe-Auguste, Louis VIII (1223-1226), Louis IX « Saint-Louis » (1226-127), et Philippe III le Hardi (1270-1285), ne parviennent pas totalement à se libérer de l’influence politique des grands du royaume : la convocation d’une assemblée de Grands reste nécessaire, même si désormais, la majorité suffit*. Ainsi, si les principaux vassaux du Roi acceptent la mesure, celle-ci s’impose à tous les autres. 

* NB : ce principe de la majorité est posé par une ordonnance royale de 1223. Il est dit très explicitement dans le texte de l’ordonnance, qu’elle s’appliquera « tant à ceux qui ont juré, qu’à ceux qui n’ont pas juré ». Cette formulation expresse est une étape très importante car elle transforme l’acquiescement volontaire à la politique royale en une obligation juridiquement contraignante. Un nouveau pas est ainsi franchi vers une authentique législation royale. 

Et cette évolution se retrouve à travers toute l’Europe occidentale : on assiste partout à la renaissance de la Loi du Roi, et le développement de la notion d’Etat va de pair avec ce pouvoir normatif retrouvé des monarques, notamment en Angleterre. L’un des règnes les plus symboliques eu égard à cette dynamique de renaissance de la loi royale, est celui de Saint-Louis IX (1226-1270). 

En effet, si Saint-Louis représente le modèle du roi-justicier (l’image du roi rendant la justice directement et oralement sous son chêne), son règne constitue aussi un moment essentiel, car il est celui qui donne l’impulsion définitive à (J. Gaudemet) « la formation par la loi royale d’un ordre juridique unitaire ». A partir de Saint-Louis, l’avancée du centralisme étatique et le processus d’uniformisation du droit par le Roi, progresseront de façon constante, jusqu’à la monarchie absolue de droit divin du XVIIème siècle. 
􏰀 Jusqu’à la fin du 16ème siècle, une importante distinction demeure quant à l’étendue même du pouvoir législatif des rois de France. Cette distinction concerne essentiellement le droit privé des individus, et le principe est le suivant : en temps de paix, le droit privé des sujets du royaume est essentiellement régi par la coutume, et le roi ne doit pas légiférer sur cette question. Tout au contraire, le roi est considéré comme «gardien des coutumes », c’est-à-dire, qu’il doit se porter garant de leur bonne application, et qu’il n’a pas le droit de les modifier ; en temps de guerre, en revanche, le pouvoir normatif du roi est étendu, en raison de l’urgence de la situation, et le roi peut être amené à violer telle ou telle coutume régionale, pour le bien de l’ensemble du royaume. Mais, comme nous l’avons déjà vu, les rois parviennent à contourner cette distinction grâce à la rédaction officielle des coutumes, qui les nove petit à petit en droit royal. 
􏰀 
L’un des rois, durant le Moyen Age, à avoir le plus et le mieux légiféré est Philippe IV le Bel (1285-1314). 

Tout au long de son règne on note également une évolution très importante qui concerne la composition du « Conseil du Roi » qui assiste le monarque dans la formulation et la rédaction des ordonnances : le règne de Philippe le Bel marque la « professionnalisation » du Conseil du Roi. Au fur et à mesure que l’autorité royale se stabilise, l’élément « féodal » de cette assemblée tend à céder la place à l’élément « professionnel » (cf. supra Chapitre I, Section 2, § 2). Puisque la fonction principale du Conseil du Roi, n’est plus d’approuver les décisions royales, mais d’assister le roi dans l’exercice de son pouvoir normatif, sa composition doit évoluer : les « Grands » ne sont pas des juristes, et ils doivent donc laisser leur place à ceux qui connaissent le droit, et qui peuvent efficacement assister le Roi. Ces professionnels du droit, qu’on appelle à l’époque, des « légistes royaux » vont occuper une place de plus en plus importante au sein du Conseil, jusqu’à en chasser complètement les aristocrates. De moyen de contrôle aristocratique de la politique royale, le Conseil du Roi devient un instrument juridique entre les mains du Roi. 

Il est temps, à présent, d’examiner l’état et les limites de la législation royale, lorsque s’ouvre le XVIème. Et, nous allons le voir, l’idée qui sous-tend toute l’activité législative du roi, est celle de « réformation » des institutions. 


§ 2 – Les ordonnances royales de réformation au XVIème siècle. 


Á titre préliminaire, et avant d’examiner en détail le contenu des ordonnances royales les plus importantes du XVIème siècle, il faut en examiner les deux caractères généraux : il s’agit d’une législation publiciste (1), fondée sur l’idée de réformation (2). Nous prendrons, ensuite, un exemple concret (3). 

1 - Une législation royale portant sur le droit public 

Comme l’ensemble des ordonnances royales du Moyen Age, les ordonnances royales du 16ème siècle, concernent essentiellement des questions de droit public monarchique. « Rarissimes » sont les ordonnances royales qui touchent directement à des matières de droit privé des personnes, du moins jusqu’au x 17ème et 18ème siècles. En revanche, il arrive assez fréquemment que des ordonnances royales portant sur le droit public, touchent indirectement au droit privé des personnes, non pas en le modifiant, mais en changeant les conditions de son application. 

􏰀 Il est important de préciser et d’expliquer cet apparent paradoxe 

Le droit public monarchique, par l’intermédiaire de la notion d’ordre public, dont le roi est le garant, touche essentiellement à deux domaines fondamentaux : l’administration et la justice ; c’est-à-dire, qu’il concerne donc directement le droit administratif et le droit pénal (qui dans cette optique de prévention et de répression des infractions, constitue, sans nul doute, une branche importante du maintien de l’ordre public par le droit royal). Or, ces deux aspects de l’ordre public sont étroitement liés à l’époque monarchique : la séparation de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire n’existe pas, et le plus souvent, les officiers royaux cumulent des fonctions administratives et judiciaires. 

La conséquence immédiate, et que vous devez absolument retenir, c’est que tout ce qui concerne la justice, son organisation et son fonctionnement, relève directement de l’ordre public et donc, du pouvoir normatif du Roi. 

Or, la Justice touche, quant à elle, directement au droit privé des sujets du royaume, dans tous ses aspects, patrimonial, matrimonial, civil et pénal. Ainsi, toute ordonnance royale qui porte sur l’administration de la Justice, touche indirectement au droit privé (qui reste pourtant en principe du domaine de la coutume) : elle n’en modifie pas la substance, mais les conditions pratiques d’application, ce qui est un point fondamental, car un droit qui ne peut être invoqué, n’est qu’un droit virtuel, inutile. 

Vous comprenez donc, à présent, comment la législation royale, parvient à contourner les limites posées par la tradition, pour atteindre, via la question judiciaire, la substance même du droit privé des sujets du Roi. 

2 - Une législation royale dominée par l’idée de réformation 

En tant que législation publiciste, le but des ordonnances royales est clairement défini : améliorer l’administration de la justice, et améliorer les institutions du royaume, et bref, améliorer les conditions générales de vie dans le royaume, dans un « commun profit ». Ce but étant défini, et les conditions étant celles que nous venons d’évoquer, il s’ensuit que les ordonnances royales, bien que réputées de droit public, peuvent toucher à des matières très variées. Dans chacune des ordonnances du XVIème siècle est mise en avant l’idée de « réformation » : il faut réformer les institutions monarchique pour améliorer la vie des sujets. 
Pour bien comprendre cette volonté réformatrice, et comment elle permet au roi d’étendre son pouvoir normatif à des matières qui, a priori, aurait du lui échapper, il convient de prendre un exemple concret. 

3 - Un exemple concret : l’ordonnance de Villers-Cotterets sur la Justice 

Avec le renforcement progressif du pouvoir royal qui, dès le 16ème s., tend vers l'absolutisme, le roi s'octroie un pouvoir de réformation et de législation de plus en plus vaste : si les ordonnances royales ont d'abord exclusivement concerné la sphère strictement étatique (organisation des institutions), elles portent aussi désormais, surtout depuis l'ordonnance de Montils-les-Tours portant sur la rédaction, donc la codification, des coutumes de tout le 

royaume, sur des questions administratives et judiciaires affectant directement le droit privé des individus. Le but sous-jacent à cette nouvelle génération d'ordonnances, est d'unifier les mentalités et le statut juridique des personnes, après avoir unifié le royaume. Or, l'instrument privilégié de cette unification est la centralisation administrative et judiciaire, entre les mains de l'Etat. 􏰀

L'ordonnance de Villers-Cotteret en est une étape essentielle. 

Il s'agit d'une ordonnance rendue en août 1539, par le roi François 1er. Elle est intitulée : « ordonnance sur le fait de la justice » et contient 192 articles dans lesquels on trouve des innovations sur de nombreuses matières. 

1 - dispositions restreignant la compétence des cours d'Eglise (et la délimitant plus clairement aux matières spirituelles et à la connaissance des litiges concernant des clercs)

2 - dispositions réorganisant la procédure criminelle (et ses modes de preuve) 


3 - dispositions modifiant les droit civil des donations et testaments et touchant donc directement au droit privé des successions. 

4 - disposition réorganisant les actes de l'Etat civil (obligation pour les curés de tenir des registres de baptème et de sépulture)

5 - dispositions visant à imposer « la langue maternelle » française dans tous les actes de justice. (et sous-entendu, dans tous les actes publics et royaux, pour uniformiser l'ordre public des biens et des personnes). 


Cette ordonnance a donc un double but : limiter les prétentions judiciaires et l'emprise administrative de l'Eglise (I), et réorganiser toute la procédure judiciaire dans un but de centralisation affirmé (II), les deux étant, bien évidemment, des préoccupations connexes. On peut en examiner le contenu selon une répartition thématique, article par article. 

NB : Cette ordonnance s'inscrit donc dans le processus l'unification du droit civil et politique des français, dans le mise en place d'un Etat unitaire et dans la marche de la monarchie tempérée (victorieuse de la Féodalité et de l'Eglise) vers une conception plus absolue du pouvoir monarchique. 

Articles concernant la limitation de la compétence judiciaire de l'Eglise 

-articles 1, 2 et 4 : confirment de la compétence du juge ecclesiastique dans les matières spirituelles (sacrements) et celles concernant directement les clercs. cassent les prétentions des juridictions ecclesiastiques, cad detenir une compétence judiciaire facultative en matière d'état des personnes, pour tout clerc ou laïque. La justice royale est compétente pour l'état des personnes, surtout des laïques. 

-article 49 : vise à consacrer "l'appel comme d'abus" : ce procédé vise à sanctionner des abus reprochés aux clercs. Au XIV ème s., lorsqu'une officialité empiète sur la juridiction laïque, le Parlement cherche à faire annuler l'acte résultant d'un excès de pouvoir, en contraignant la cour d'Eglise à le faire, en exerçant sur elle une pression sous forme de saisie de son temporel (les immeubles compris dans le bénéfice ecclésiastique). Puis, au XVème s. le Parlement s'arroge le droit, avec l'appui du pouvoir royal, d'annuler lui-même un acte de l'autorité écclesiastique (résultant manifestement d'un excès de pouvoir), sur simple appel dirigé contre ce dernier. Ce type d'appel s'épanouit à partir de François Ier, puisque consacré par cette ordonnance, il commence à s'appliquer, outre les matières administratives et juridictionnelles, à des matières purement spirituelles. Cependant, l'ordonnance, si elle consacre l'appel comme d'abus, limite également son effet suspensif si le juge éccl. se trouve face à des prétentions manifestement infondées. 

Articles concernant le contrôle royal du pouvoir d'administration de l'Eglise 

-articles 50, 51 et 52 : Le contrôle royal sur les éléments de l'administration écclésiastique vise à améliorer le régime des modes de preuve devant les juridictions royales laïques.
Ainsi, afin de faciliter le travail du juge royal dans les litiges portant sur l'action possessoire en matière de bénéfices écclésiastiques, l'ordonnance prévoit l'établissement d'un registre des sépulutures des personnes qui possédaient un bénéfice écclesiastique (à bien distinguer des registres de baptèmes, mariages et sépulutures de toutes les personnes, qui son tenu par les administrations diocèsaines et paroissiales et qui vont être récupérés par le pouvoir royal dans un souci de centralisation de l'état-civil des personnes, voir ci-dessous) 

traite des registres paroissiaux de baptèmes (naissances), de mariages (unions) et de sépultures (décès), qui sont le seul moyen de comptabiliser la population française (ils seront remplacés à la Révolution, par les registres de l'état-civil). 
L'ordonnance prévoit que ces registres doivent être remis aux juridictions royales, sous le pretexte là encore, de faciliter, leur travail sur les litiges concernant l'état des personnes.
Mais, on en arrive ici, à un souci de centralisation qui se manifeste surtout par la réorganisation de la justice royale, notamment sur le plan procédural. 


Articles concernant l’instauration d’une langue nationale pour les actes juridique

-article 111 : cet article est emblématique avec le recul. Il prévoit que LA LANGUE FRANCAISE est désormais la langue officielle de tous les arrêts de jugements des juridictions royales. prévoit que LA LANGUE FRANCAISE sera désormais utilisée pour tous les actes juridiques de la vie courante des personnes. Cette disposition s'explique par la volonté du Roi d'unifier la société en rejetant l'emploi du latin, sujet à des interprétations souvent divergentes et langue officielle du Pape et de l'Empereur. 


Annexe : l'origine de la langue française 
La langue française est issue de la langue d'Oïl qui par l'intermédiaire du langage roman, provient du langage populaire parlé en Gaule au Vème s., avec un apport germanique de 500 mots environ. Ce langage roman était composé de plusieurs dialectes, divisé en deux rameaux ppaux : langue d'oïl et langue d'oc. La langue d'oïl comprenait le picard, l'anglo-normand et le francien (parlé en île de France). 
Les trois étapes de formation de la langue française sont : 
- le vieux français (842-1350)
- le moyen français (1350-1600) - le français moderne (1600-2000) 
NB : Rappelons que l'exaltation de la langue française s'explique par la volonté d'unification nationale : les premiers Etats Généraux rassemblant des états de langue d'oïl et de langue d'oc sont ceux de 1484. Puis, peu à peu, le pluralisme est battu en brêche par la langue officielle. C'est la justice unitaire contre les dialectes multiples. 


Articles concernant une procédure judiciaire rationalisée 

-article 145 : substitue une procédure inquisitoire à une procédure accusatoire. Développer les deux types de procédure. Dans l’accusatoire, les parties ont la maitrise du procès, elles fournissent elles-même leurs modes de preuve et le juge n’a qu’un rôle d’arbitre. Dans l’inquisitoire, c’est le juge qui dirige le procès, qui procède à l’instruction, qui choisit les modes de preuves, qui convoque les parties. 

-articles 131, 132 : visent au contrôle des donations (et des testaments ?) en prévoyant une présomption qui permet au juge d'annuler les donations faites par les incapables. Les donations doivent être enregistrées auprès des cours. Mais, le ppe du secret des fortunes limitera l'application de ces articles. 

-article 139 : pose le principe de célérité de la justice, notamment en matière criminelle. 


-article 162 : pose le principe, toujours en matière criminelle, que l'on ne peut plaider par procureur (ce que l'ordonnance du 15 janvier 1529 écartait déjà en matière civile). 

-article 166 : prévoit des conditions libérales pour faire jouer la contrainte par corps : tout privilège coutumier ou contractuel qui écartait cette procédure, est désormais entaché de nullité, ce qui rend plus la procédure identique pour tous. 

Cette analyse étant faite de façon plutôt détaillée (voire exhaustive), il n’est pas utile de présenter d’autres modèles d’ordonnances de réformation au 16ème siècle. L’étape suivante de l’expansion du pouvoir normatif du roi est incarnée par les ordonnances de codification aux 17ème et 18ème siècles dont il sera traité dans la dernière partie du cours. 




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