dimanche 15 mars 2020

L'Histoire des lois fondamentales qui permirent à la monarchie de fonder l'État Moderne...






Introduction
Origine, nature et définition des 
Lois fondamentales du Royaume de France
Une constitution coutumière de droit public

Les lois fondamentales ont été définies a posterioriau cours du 16èmesiècle. On a tout d'abord parlé de « lois du royaume »( = lois d'essence supérieure) par opposition aux « lois du roi » ( = lois ordinaires) pendant tout le 16èmes., puis, à partir de 1575, ces normes ont pris la qualification nouvelle de « lois fondamentales ». Le célèbre juriste et théoricien de l’Etat, Jean Bodin propose une définition plus précise des lois fondamentales, dans son ouvrage majeur « Les six Livres de la République », qui date de 1576. Il y présente les lois fondamentales comme des lois concernant l'Etat( = la Couronne), l'établissementet le maintien du royaume( = le domaine royal). Un tel champ d’application rend leur nature spécifique. A l’inverse des autres normes, qui ne dépendent que de la volonté du monarque, les lois fondamentales, écrit-il, sont « annexées et unies à la Couronne ». C'est-à-dire qu'elles s’imposent à tous et tout particulièrement au roi, considéré comme le serviteur de l'Etat, titulaire d'une fonction d'administration du royaume ( = la royauté est une charge). Si le roi est souverain, l’exercice de cette souveraineté doit être règlementé. Tel est le rôle des lois fondamentales qui, à l’image de la Couronne, à la fois transcendanteset intangibles. Empêcher que le pouvoir absolu ne se transforme en pouvoir despotique. Comme l’expriment de vieilles harangues : « Sire, vous pouvez tout, mais vous ne devez pas vouloir tout ce que vous pouvez. »
Pour bien comprendre la nature juridique des lois fondamentales, il faut rappeler qu'elles sont d'origine coutumière: elles sont, non pas des règles de droit établies par une volonté législative ponctuelle, mais elles représentent la généralisation de pratiques politiques répétées et permanentes. On retrouve toujours les mêmes étapes de formation : 

— un précédent qui s'inscrit dans une crisepolitique grave
—une répétition de cas similaires résolus en vertu du même principe
—la formation d'une coutume qui devient loi fondamentale

Le rôle des lois fondamentales est donc de déclarer de grands principes qui n’étaient jusque-là qu’impliciteset qui contribuent à structurer l'Etat monarchique.

Il faut, dès lors, tenter de déterminer si les lois fondamentales forment une constitution pour le Royaume de France ? Si l’on entend par « constitution », un texte réunissant l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, ainsi que leurs compétences respectives, alors la réponse est négative. Cependant, on note une nette distinction terminologique entre les lois fondamentales qui, au terme de leur formation coutumière deviennent des « ordonnances du royaume », et les simples lois du roi ou « ordonnances royales ». Seules les premières sont réputées « immuables et inviolables ». Le roi lui-même ne peut y déroger, ce qui ressemble à l'idée que nous nous faisons de la constitution aujourd'hui, tout au moins dans sa signification conceptuelle et juridique, dans sa place prééminente dans l’ordonnancement juridique

D’ailleurs, même si l'essentiel des structures monarchiques était déjà défini bien avant l’apparition, au 14èmesiècle, des lois fondamentales, l’idéal était déjà celui d’une monarchie sage. Et même si les adagesqui mettent en avant la puissance législative et l’autorité royales, « Si veult le roy, si veult la loi... », ou« Rex solutus a legibus (…) Le roi est au-dessus des lois »sont nombreux, ils ne valent que pour les lois ordinaires, celles que le roi promulgue lui-même. Sa puissance législative ne l’exonère pas du respect des« lois morales et divines »(celles dictées par le christianisme) et des « lois fondamentales », héritées de l’Histoire, et d’essence coutumière. Toute décision royale prise en violation des lois fondamentales est immédiatement entâchée de nullité, n’a aucun effet juridique, comme ce fut le cas pour l’Acte d’abdication de François 1ERen 1525ou pour le Traité de Troyes de 1420par lequel Charles VI voulait transmettre le royaume de France à l’Angleterre (cf. infra, section 2). 
Il s’agit donc d’une différence profonde de nature juridique et il est juste d’affirmer que les lois fondamentales, supérieures et inviolables, composent la « constitution coutumière » de l'Etat monarchique. Elles constituent des limites strictes posées à l'arbitraire des rois et font partie intégrante de la notion d'Etat, distincte de la personne du monarque. 
En guise de synthèse, on peut proposer la formulation suivante : 

Les lois fondamentales sont des normes supérieures d'origine coutumière, qui font de la Couronne, une réalité de droit public, et qui en vertu d'un principe statutaire, lui organisent un mode de dévolution successorale spécifique et protégent l'ensemble des territoires et des prérogatives relevant d'elle. (Harouel, Histoire des institutions, p.264)

Voyons, à présent le contenu même des lois fondamentales, qui participent de la constitution coutumière du royaume et forment une partie importante du cadre institutionnel du pouvoir monarchique. Nous nous servirons, de temps en temps, des textes de la plaquette de TD. La consultation du récent manuel de Jean-François Brégi, Fiches d'histoire des institutions publicques(éd. Ellipses, 2008), pp. 196-210) sera également fort utile. 


La construction empirique des règles successorales



§ 1 – L’origine : hérédité et principe de primogéniture mâle. 

La question de la transmission du pouvoir fut la pierre d'achoppement des premières dynasties franques : partages incessants et luttes fratricidesfurent le lot des mérovingienset même les carolingiens, malgré la notion de fonction royale et le cadre impérial, ne surent éviter les guerres et l'affaiblissement du pouvoir, symbolisé par le Traité de Verdun. 
Avec les capétiens, il y a eu deux évolutionsimportantes : tout d'abord, les rois vont utiliser la technique du sacre anticipéet l’association au trône, afin de garantir à leur fils, de leur vivant, l’accès au trône. Ces deux techniques ont permis aux capétiens de faire passer en coutume la transmission héréditairedu royaume et de la couronne. 
Mais les règles de dévolution de la Couronne ont d’abord été implicites, car les premiers rois capétiens n’ont pas eu à affronter, contrairement à leurs prédécesseurs de difficultés successorales. En effet de 987 à 1314, par une chance extraordinaire (et « miraculeuse » compte tenu de la faiblesse des institutions capétiennes), les premiers rois se sont succédés de père en filsde façon tout à fait paisible. 
Tous les descendants de Hugues Capet, depuis Robert II le Pieuxjusqu’à Saint-Louis IXn’ont eu qu’un seul descendantchacun, un fils qui naturellement, leur a succédé sur le trône (regardez l’arbre généalogique des capétiens dans la plaquette de TD, vous constaterez qu’il forme un simple tronc dans sa première partie). On peut considérer que l’hérédité est acquise de plein droit à la fin du 12ème s. Jusqu’en 1314, la double règle successorale qui prévaut est celle de l’hérédité en ligne directe et celle de la primogéniture mâle, c'est-à-dire la transmission de la Couronne au fils aîné.  
Mais les choses vont changer, au cours du 14èmesiècle, avec diverses crises successorales qui s’ouvrent après le règne de Philippe IV le Belqui, rompant avec le « miracle » capétien, laisse derrière trois fils (ainsi qu'une fille, qui joue un rôle plus tardif). 
C’est au moment de la succession de son fils aîné, Louis X le Hutin (ce qui signifie le « querelleur »), en 1316, que les premières crises vont provoquer une remise en cause de l’hérédité, de la masculinité et du droit d’aînesse et, partant, imposer leur renforcement. Ces règles se juridicisent à la faveur des enjeux politiques. 

§ 2 – La première étape : loi de collatéralité et exclusion des femmes. 

Cette première évolution est le résultat de l'ambition de Philippe V le Long, le deuxième fils de Philippe IV le Bel. Lorsqu’en 1316, Louis X le Hutinmeurt après deux années de règne, il ne laisse derrière lui aucun héritier mâle, mais seulement une fille mineure, Jeanne, âgée de quatre ans (fille d'un premier mariage avec Marguerite de Bourgogne, et dont la légitimité est douteuse) et une reine enceinte, Clémence. Son frère ambitieux, Philippe, évince la reine Clémencede la régence, grâce à l’appui des barons et des seigneurs féodaux, et annonce, sans réel fondement juridique, qu'il assumera la régence jusqu’à ce que la reine accouche. 
L’idée de Philippeest la suivante : si Clémence donne naissance à une fille, celle-ci sera écartée de la succession, en tant que femme et il sera lui-même roi. Sil elle met au monde un fils,  Philippe conservera la régence jusqu’à ce que cet héritier royal ait atteint sa majorité. Or, Clémence met au monde un fils, Jean. Mais celui-ci ne vit que cinq jours. Sa disparition laisse définitivement le trône sans héritier en ligne directe. 
Cette situation inédite pose la question de la collatéralité et de la masculinité dans les mécanismes de dévolution : la Couronne doit-elle échoir à la fille de Louis X le Hutin, ou à son oncle, Philippe, qui assume déjà la régence ?
De son côté, Jeannepeut bénéficier de quelques arguments, issus des coutumes féodales, qui admettent que les femmes peuvent succéder aux fiefs, ou comme l’exemple de royaumes dans lesquels les femmes accèdent au trône (notamment en Navarre ou à Byzance), comme la possibilité des reines en France à assumer la régence, etc. 
Mais l’ambitieuxPhilippea plus de cartes en main que sa jeune nièce. Les arguments en sa faveur, tant de nature politique que juridique ou simplement circonstantielle, ne manquent pas. Ainsi, la fragilité physique des femmes, leur inaptitude à la guerre, le jeune âge de Jeanne qui cumule les inconvénients de la faiblesse et de la minorité, etc. De plus, son mariage éventuel avec un prince étranger risquerait de faire perdre aux capétiens le trône de France. Un autre argument, tiré des Evangiles, est utilisé : « les lis ne filent point » avait affirmé le Christ. Or les femmes « filent » et le « lys » est l'emblême des rois de France.Enfin en sa qualité de frère, de collatéral, Philippe est le plus proche parent mâle du roi défunt
Fort de sa position de régent et du soutien presqu’unanime des « grands » du royaume, Philippe écarte sa nièce et se fait sacrer roi le 9 janvier 1317, juste avant d’être « élu » par une assemblée d’aristocrates, retrouvant ainsi les deux sources traditionnelles de légitimité : l’élection et le sacre. Cet événement est également le reflet d'un basculement conceptuel : désormais, la Couronne de France ne se transmet plus comme un vulgaire fief(ce qui signe, également, l'abandon définitif de la suzeraineté). 

La suite des événéments va jouer en faveur de l’admission de ce principe de l’exclusion des femmes et de la collatéralité. En effet, au moment de sa propre succession, le même problème se pose. 
Lorsque Philippe V le Longmeurt, en 1322, il ne laisse derrière lui que des filleset c’est son frère cadet, Charles, le troisième fils de Philippe IV le Bel, qui monte sur le trône, en se prévalant  à la fois du principe de collatéralitéet de celui de l’exclusion des femmes. Et, cette fois-ci, personne ne songe à lui opposer des arguments contraires. 
On assiste, par la répétitiondes mêmes solutionsaux mêmes problèmes, à la formation d'une coutume de droit public. Ainsi, du règne de Philippe V le Long au règne de Charles IV le Bel, ce sont des raisons familiales internesqui ont transformé une hérédité et une primogéniture mâle implicites en première loi fondamentalequi sera exprimée par un adage qui s’imposera par la suite : « le royaume de France ne peut tomber en quenouille ».
Mais, lorsque le problème devient international à la mort de Charles IV, il faut aller plus loin dans la juridicisation des règles de dévolution successorale au trône de France. 

§ 3 – La seconde étape : l’exclusion des parents par les femmes.  

Á la mort de Charles IV le Bel, en 1328, s’ouvre une nouvelle crise successorale. Le troisième et dernier fils de Philippe IV le Bel ne laisse, lui aussi, que des fillespour lui succéder. Elles sont naturellementexcluesde la succession au trône, en application de la loi fondamentale établie, et il faut se pencher sur les différents candidats collatéraux. Et c’est là qu’intervient la deuxième plus grave crise successoralede l’histoire des capétiens. 
Tout d’abord, il faut noter que la lignée masculine des capétiens directs est terminée, car Charles IV n’a plus aucun frère. En revanche, il reste une sœur, Isabelle, la fille de Philippe IV le Bel. Celle-ci a été mariée au roi d’Angleterre, Edouard II. Mais Isabelle est, en toute hypothèse, exclue de la succession au trône en tant que femme. Toutefois, elle a eu un fils, devenu depuis roi à son tour, Edouard III. 
Parmi tous les collatérauxqui peuvent prétendre au trône, trois candidatsparaissent s’imposer et, parmi eux, se trouve Edouard III, le roi d'Angleterre, fils unique d'Isabelle de France (collatéral de Charles IV au troisième degré). Qui plus est, des trois prétendants, Edouard III est le seul susceptible de perpétuer la lignée directe des capétiens, en tant que petit-fils de Philippe IV le Bel et neveu des trois rois précédents. Mais si le roi d’Angleterre est désigné comme successeur, la France ne sera plus une Nation à part entière (on passe du simple risque de voir un prince étranger s'emparer du trône de France par mariage, à une certitude). Les deux autres prétendants sont Philippe de Valoiset Philippe d’Evreux, tous deux collatéraux au quatrième degré, cousins du roi issus de germains. S’ils sont plus éloignés qu’Edouard, ils peuvent se prévaloir en revanche d’une hérédité en ligne masculine, et non pas par l’intermédiaire d’une femme. 
L'enjeu politique et le débat juridiquesont, une nouvelle fois, étroitement imbriqués : d'après le droit successoral classique, la préférence devrait aller à Edouard III, qui est le plus proche parent du roi défunt. Mais, les juristes françaisvont affirmer, à l’encontre de la candidature du roi d’Angleterre et avec l'appui de l'Université de Paris, que le principe d’exclusion des femmes implique celui de l’exclusion des parents par les femmes. L'argumentation de se porte sur la nature de l'incapacité des femmes à monter sur le trône : relative ou absolue ? Dans un premier cas, celui revendiqué par les Anglais, elles peuvent faire « pont et planche ». Dans un second cas, elles ne peuvent en aucun cas transmettre ce qu'elles ne possèdent pas, ni personnellement, ni juridiquement.
Ils formulent ainsi un nouvel adageen matière successorale, en expliquant que « les femmes ne peuvent pas faire pont et planche » parce qu’elles-mêmes sont écartées du trône français. Et pour mieux légitimer leur raisonnement, pourtant beaucoup plus politique que juridique, ils exhument (ou réinventent) l’ancienne Loi Saliquedes premiers francs. 
Au nom de la préservation de l’unité et de l’identité françaises, ils osent se servir d’une ancestrale loi barbare, qui plus est, de pur droit privé, pour tenter de légitimer une coutume successorale de droit public. C’est évidemment une manœuvre politique, l’évocation de cette loi n’ayant rien de pertinent sur le plan strictement juridique : elle ne traite que de « l’alode », une terre reçue en héritage paternel, à la succession de laquelle la femme n’avait pas droit dans la tradition franque (alors même, rappelons-le que, sous la fédoalité, la femme pouvait hériter du fief à condition de se marier). C’est donc le droit privé pré-féodal, celui d’une peuplade oubliée depuis des siècles, qui vient sauvegarder le royaume de France d’une « absorption » par l’Angleterre. Une manière très symbolique également de rappeler le caractère « ancestral » de la monarchie française. Les « fictions juridiques » au service d'une vérité (ou d'une volonté) politique, se multiplient (ainsi que les adagesqui les métaphorisent), mais elles connaîtront leur plus grande utilité avec la formalisation du principe de continuite de la Couronne (voir, infra, section 2, § 2). 
En définitive, les Etats-Générauxse réunissent en 1328 pour approuver le rejet de la candidature d’Edouard IIIet ils désignent Philippe de Valois, qui est à la fois préféré à Edouard III, en raison de sa ligne de parenté masculine, et à Philippe d’Evreux, en raison de sa simple primogéniture(il est né avant). La couronne de France passe à la branche cadette des capétiens, les Valois, nouvelle dynastie qui conservera les rênes du Royaume jusqu’en 1589
Edouard IIIet les légistes anglais contestent, naturellement, cette décision française, et ne sont pas dupes de sa motivation politique (même si dans un premier temps, Edouard accepte, comme ses prédécesseurs de se reconnaître vassal du roi de France, tradition respectée depuis le règne de Saint-Louis). Le roi d’Angleterre estime avoir étéinjustement écarté de la succession au trône de France, et ce, même si, à la suite de l’intervention des Etats-Généraux incarnant la Nation, il consent à rendre hommage pour l’ensemble de ses fiefssis en France, au tout nouveau roi de France, Philippe VI de Valois
L’Angleterre, toutefois, n’a pas renoncé à la France et la guerre de Cent Ansqui ne commencera que dix ans plus tard, déclenché par les deux mêmes rois, repose au moins autant sur les prétentions dynastiques anglaisesinassouvies, que sur le conflit économique récurrententre les deux plus puissantes nations du Moyen-Âge occidental. 


âSynthèse et Conclusion sur cette section : 

Ainsi, en deux grandes étapes, nous venons d’assister à la juridicisation de la dévolution du pouvoir monarchique en France, à la formulation, par des adages, des lois fondamentales de masculinité, collatéralité,d’exclusion des femmes et des parents par les femmes

Après le 14èmesiècle, ces trois règles de dévolution ne seront plus jamais modifiées et la Loi Salique, justement parce qu’elle offrait une continuité des Mérovingiens jusqu’aux Capétiensconnut une fortune considérable, devenant un fondement d’ordre mythique. Toutes ces règles se maintiendront sous les Valois comme sous les Bourbons. Elles seront même législativement consacrées par la Constitution de 1791. Au 16èmesiècle, la question religieuse viendra se greffer à la question de la dévolution du pouvoir en imposant la catholicité du roi, qui jusque là n’était qu’implicite (cf. infra, section 4). 

Petit à petit, au cours du siècle suivant, interviendra une étape suivante, une étape décisive : celle de la transition entre un principe purement héréditaire et une théorie pleinement statutaire de la couronne de France,qui inaugure les plus grandes avancées du droit public étatique et permettra à la Couronne d’échapper définitivement aux principes successoraux du droit privé classique en posant les bases de son propre statut. C’est ni plus ni moins, en plein 15èmesiècle, la naissance de l’Etat, au sens plein de terme. 


L'invention juridique du statut de la Couronne


Dès la fin du Moyen-Age, s'est fait sentir le besoin de préciser le caractère de la dévolution au pouvoir royal: l'idée de dévolution héréditaire pouvait laisser croire que l'on pouvait appliquer à la transmission de la couronne, les regles de la succession privée, telles que la prise de possession, la tutelle en cas de minorité de l'héritier et surtout la possibilité d'un testamentqui modifierait l'ordre des successions. 

Certains auteurs, dont notamment Jean de Terrevermeilles'attachèrent à éviter de telles conséquences : on affirma quela dévolution de la couronne n'était pas à proprement parler héréditaire, mais STATUTAIRE, obéissant à une statut particulier excédant les regles de droit privé ordinaires (ou, comme l'écrit J-F Brégi, « elle relève d'un ordre juridique indépendant de toute décision humaine », ce qui est, évidemment, une fiction juridique supplémentaire dans cette construction empirique de l'Etat monarchique). Le roi accède au trône, non pas simplement en tant qu'héritier agnatique(par les mâles) du roi défunt, mais parce qu'une loi fondamentaleimmuable et supérieure désigneimpérativementle plus proche héritier mâle pour recueillir la couronne. Plus que d’une succession héréditaire, il s’agit en réalité, comme on va le voir, d’une succession « successive ou simple », légitimée par la coutume, et qui se trouve avoir une apparence héréditaire (elle est « quasi-héréditaire »).

L’admission de la théorie statutaire de la Couronne repose, dès lors sur la rencontre de deux grands principes(devenus avec le temps et les crises politiques d’authentiques lois fondamentales : l’indisponibilitéde la Couronne, qui « fige » les règles successorales, d’une part, et, la continuitéde la Couronne, qui exprime la « transcendance » de l’Etat. 

§ 1 – L’indisponibilité de la Couronne. 

Comme précédemment pour les lois de masculinitéet de collatéralitéque nous avons présentées (et comme pour la loi de catholicité que nous traiterons par la suite), la reconnaissance de l’indisponibilité de la Couronne s’est opérée par l’intermédiaire d’une crise politique gravequi a constitué un précédent, et permis la formulation d’une loi fondamentale. 
En 1420, le roi de France, Charles VI, qui règne depuis 1380 est devenu fou. La médecine moderne classe sa « folie » parmi les psychoses intermittentes et périodiques ; celle-ci ronge le roi depuis l’année 1392et s’aggrave rapidement. Or, alors que la Guerre de Cent Ans paraît tourner à l’avantage des Anglais, Charles VI le Fol, sous l’influence de sa mère, Isabeau de Bavière, qui assume la « régence » en raison de son insanité mentale, signe avec le roi d’Angleterre, Henri V, un Traité à Troyes(au nord-est de la France), le 21 mai 1420. 
LeTraité de Troyesconsacrel’exhérédation du Dauphin, la mise à l’écart de l’héritier légitime de Charles VI, son fils, le futur Charles VII, et transmet le royaume de France à l’Angleterre. Précisément, il fait d’Henri V le fils adoptif de Charles VIet, de ce fait, le seul successible au trône de France, en vertu de la loi de masculinité. 
Mais, les juristes français (certes aidés par les événements) feront annulerce Traité, en mettant en avant l’idée de STATUTde la Couronne, qui protège de l’arbitraire royal les règles de dévolution successorales. Cette théorie statutaire est exprimée pour la première fois, parJean de Terrevermeille

âJean de Terrevermeille ou « Jean de Terre Rouge » est un juriste du Midide la France, où le droit romain est demeuré vivaceet dans lequel se trouvent les fondements principaux de l'Etat monarchique et de l'absolutisme. Dans son ouvrage principal, son « Tractatus… » (litt. « Les traités », au nom de trois)qui paraît en 1419, plusieurs mois avant que le Traité de Troyesne soit signé. Mais, il faut préciser que ce Traité entre le roi de France et le roi d’Angleterre n’était que l’aboutissement de long processusqui visait à écarter du Dauphin de la succession au Trône. Rien d'étonnant, donc, à ce que Jean de Terrevermeille ait été au courant (d'autant plus que Henri V avait exposé ses ambitions plusieurs mois auparavant, dans un projet d'alliance anglo-bourguignonne, signé avec Philippe le Bon, duc de Bourgogne). L’auteur méridional a écrit son Traitéprécisément pour empêcher cette modification des règles de dévolution et/ ou vider de toute légitimité tout texte qui le ferait. 

Jean de Terrevermeille s’attache à démontrer que les règles coutumièresqui président à la dévolution du Trône sont d’ordre publicet échappent à l’arbitraire royal. Il écrit que leur fixation empirique et progressivedémontre, dans un premier temps, que la Couronne est spécifiqueet que la transmission de celle-ci outrepasse les cadres du droit civil et du droit féodal. Il s’agit donc d’un « droit public coutumier » qui confère à la Couronne un statut supérieuret la place « au-dessus du roi ». 

Jean de Terrevermeille considère donc que la Couronne est indisponible. Elle est « au-dessus » de la souveraineté des rois et, en conséquence, les règles coutumières qui organisent sa transmission sont également indisponibles.C'est-à-dire que Jean de Terrevermeille pose le principe fondamental selon lequel, la succession au trône ne s'apparente pas à une succession héréditaire de droit privé, mais à une succession spécifique de droit public, entièrement régie par la coutume

C’est l’exclusion définitive du droit privéet la mise en avant de la notion d’indisponibilité de la Couronne, loi fondamentale qui a pour conséquence de soumettre le roi à l’autre loi fondamentale fixant la dévolution successorale. La Couronne devient, dès lors, une réalité de droit public, entièrement distincte de la personne même du roi. C’est la naissance de l’Etat moderne

Le roi est désormais investi d’une « magistrature immortelle » dont il n'est que le titulaire viageret sa personne est désormais distincte de la Couronne, dont il ne peut disposer. Il n’est qu’un « usufruitier » et ne dispose pas de cette partie essentielle du droit de propriété qu’est « l’abusus ». 

Si le roi règne ce n'est pas un droit, mais une obligation. Ce n’est pas par un quelconque droit de conquête ou par sa puissance personnelle. S’il règne, c’est parce qu’il sert la Couronne, ou pour tout dire, l’Etat qui échappe à toute tentative de contrôle de sa part. Cette indisponibilité de la Couronne de France a des conséquences très importantes : 

1 - Le roi ne peut abdiquer: il ne peut se soustraire au « devoir » de régner.2 - Le roi ne peut pas écarter du trône son successeur légitime, car il ne lui appartient pas de modifier les règles de succession qui sont « indisponibles ».
3 -
Les princes de sang royal ne peuvent pas renoncer à leur droit éventuel de régner, car encore une fois, ce droit s’impose à eux, car règner n’est pas un droit mais une charge.
4 -
Le roi ne peut pas habiliter des personnes non reconnues par la loi, à régner, car la loi fondamentale de dévolution successorale ne les reconnaît pas comme successeurs légitimes. 

La publication du « Tractatus… » de Jean de Terrevermeille permit de faire annuler le Traité de Troyes(même si les événéments contribuèrent également à cette annulation, avec la mort des deux signataires, Henri V et Charles VI, deux ans seulement après la signature du traité) et de sauvegarder l’identité française, en renforçant considérablement le pouvoir royalet en orchestrant, d’un seul coup, dès le règne de Charles VII le Victorieux, le glissement d’une vieille monarchie féodale, à une monarchie absolueconstruite sur la notion abstraite d’Etat. L’indisponibilité de la Couronneet des règles de dévolution à la Couronne devint rapidement une loi fondamentale, qui fut invoquée dès 1435dans l’entourage de Charles VII, et utilisée en 1457 pour faire annuler les dispositions du testament de ce même Charles VII qui entendait exhéréder son Dauphin, futur Louis XI, pour ingratitude. L’Etat est désormais à l’abri de tout arbitraire humain. Il ne restait plus qu’à affirmer sa transcendance, qui coiffe les hommes immanents. 

§ 2 – La continuité de la Couronne. 

Le principe de continuitéde la Couronne découle presque naturellement du principe d’indisponibilité, bien que certaines de ses manifestations lui soient antérieure. Il apparaît à la même période et, tout autant que le premier, sert d’assise à l’Etat monarchique. Il a été rendu nécessaire, en quelque sorte, par le « vide juridique » qu'avait créé, à partir de Philippe-Auguste, l'abandon de la technique du sacre anticipé. La monarchie avait dont besoin d'une « fiction juridique » permettant de combler ce hiatus, d'effacer les risques que pouvait faire courir à la dynastie capétienne, l'existence d'un interrègne (souvenir de la royauté romaine, sous le contrôle des pontifes).On peut le décliner en deux adagesqui expriment symboliquement son contenu juridique  et masquent habilement tous les aménagements pratiquesqu’il implique : « Le roi ne meurt pas en France » et« Le roi de France est toujours majeur ». Un troisième élément viendra compléter cette analyse en montrant que le roi est tenu par les obligations politiques(et non personnelles) prises par ses prédécesseurs. 

« Le roi ne meurt pas en France... Le roi est mort, vive le roi ! »

Au Moyen-Age, les premiers capétiensse faisaient sacrer et associaient leur fils au trône de leur vivant. Avec l'acquisition du principe d'hérédité, l'association au trône disparaît, devenu inutile. Même le sacre, pourtant légitimateur, perd de son importance lorsqu’est reconnue la loi fondamentale de dévolution à la Couronne.
Toutefois, afin d’éviter toute solution de continuité ou interrègnedans la monarchie française, deux ordonnances de Charles VI, datant de 1403et 1407, prises alors que le roi n’est pas dans une crise de démence, viennent affirmer l’instantanéité de la succession au Trône. Elles décident que l'héritier au trône doit être tenu pour roi dès le décès de son prédecesseur, avant le sacre. On peut se pencher tout particulièrement sur le premier de ces deux textes, qui date d’avril 1403(et qui, hélas, ne se trouve pas dans la plaquette cette année). Les formulationsrelatives à l’instantanéité de la succession sont révélatrices : il ne doit y avoir aucune solution de continuité (discontinuité) dans la transmission du pouvoir. D’ailleurs, le nouveau roi, en principe le fils du précédent, ne doit pas porter le deuilde son prédécesseur. 
Le successeur du roi défunt est roi dès l'instant de la mort de son prédécesseur, sans qu'il se produise la moindre interruption dans la fonction royale : « sitost que le père est alé de vie à trépassement...ledit premier-né...est et doit estre réputé pour Roy et doit estre ledit royaume gouverné par lui... ». C’est-à-dire que lamort du roi suffit à saisir son successeur, quel que soit son âge et sans le préalable du sacre. La succession est « instantanée » et, la magistrature royale, « immortelle ». 

C'est comme si le roi ne mourrait pas, puisque le fils « continue » le père et dispose immédiatement des mêmes droits: « puist user pleinement de son droit ... use de tous les droiz de Roy... ». Le texte rappelle aussi le principe de masculinité : « nostredit ainsné fils... ». 
Cette ordonnance participe aussi de la théorie statutairede la Couronne, puisque Jean de Terrevermeille rattachera l'instantanéité de la succession au droit acquis du dauphinsur la Couronne en vertu de la succession légitime fixée par la coutume. Les conséquences d'une telle analyse sont les suivantes : le roi se perpétue dans ses successeurs qui finissent par former une lignée, une personne immatérielle qui se perpétue sans discontinuité

On se rapproche ici de la notion des « deux corps (ou double corps) du roi » qui prévaudra au sein de la monarchie anglaise et qui repose sur l’idée selon laquelle le roi dispose d’un corps physique et d’un corps politique
Le premier dépérit et meurt, il doit être sans cesse remplacé.
Le second, quant à lui, est transcendant et intangible et demeure aux côtés de la Couronne qui « n’est jamais sans roi ». 
Les rois successifs ne font « qu’occuper les corps physiques » et toutes leurs décisions « alimentent le corps politique » et participent au renforcement de l’Etat monarchique.

Dès la fin du 15èmesiècle, le principe de continuités'est « résumé » dans une série d'adages, le plus célèbre étant celui utilisé en 1547,pour le cérémonial funèbre de François 1er archétype du souverain : « Le roi est mort, vive le roi ». La sacre n’a plus qu’une portée symbolique (tout au plus, il « confirme »le roi). 

« Le roi est toujours majeur... Il n'y a pas de régence en France »

Proclamer que le roi de France est toujours majeur, c'est permettre d'écarter les règles de droit privé. En vertu de l’instantanéitéde la succession, le roi est réputé roi dès la mort de son prédécesseur et son âge, à ce moment précis, n’a aucune importance (sur le plan juridique). Ainsi, l’ordonnance de Charles VIde 1403que nous avons déjà évoquée illustre cette idée puisqu’elle prévoit que l’héritier au trône, « en quelque petit age qu'il soit ou puisse estre, soit après nous incontinent, sans aucune dilacion, appellé Roy de France, succède à notre royaume et soit couronné Roy... ». Donc, il existe une fiction juridiqueselon laquelle les rois sont toujours majeurs, aptes à gouverner dès leur naissance. Ainsi, même Jean 1erle fils de Louis X le Hutin, a régné cinq jours, le temps sa courte vie, avant que Philippe V le Long ne lui succède. 
Toutefois, au-delà du principe juridique, il faut considérer les problèmes qui peuvent se poser dans la réalité. Si le plus proche parent appelé à succéder au trône est mineur(c’est-à-dire en bas-âge), cela risque d’affaiblir la Couronne, car un enfant n’a pas, de toute évidence, la capacité de régner lui-même. Dans ce cas, il faut organiser une « régence », qui autorisel’un des collatérauxdu roi mineur à gouverner à sa place, le temps qu’il atteigne sa majorité. La majorité des roisfut fixée par un édit de Charles V, en 1374, à quatorze ans. La régence existait bien avant l'affirmation du principe d'instantanéité de la succession, mais celui-ci en a profondément modifié la pratique juridique. D'une certaine manière, devenue caduque, la régence ne doit plus exister en droit. Elle est donc, reléguée dans le fait, remplacée par une « fiction fondamentale » qui dit : « il n'y a pas de régence en France ». 

Ainsi, la régence est purement factuelle. Elle n’a aucune existence en droitpuisque les actes pris par le Régent sont signés du nom du roi(et non plus  de leur nom personnel) ; une fois sa majorité atteinte, le roi datera le début de son règne, non de la fin de la régence, mais de la mort de son prédécesseur. Toutefois, si la question de « l’invisibilité juridique » de la régence est réglée, il reste à l’organiser
Entre les modèles du bail féodalqui tend à désigner un collatéral(ou plus précisément le plus proche parent mâle du roi, du côté paternel) et le modèle de la tutelle romaineen vertu duquel on s'adresse à la mèredu roi, il semble que la coutume opte pour un système mixte.  C'est en priorité à la Reine-mèrequ'échoit la régence (Catherine de Médicisdurant la minorité de Charles IX), et, à défaut,c’est au plus proche parent du roi en ligne agnatique(Philippe d'Orléanspour Louis XV). Mère ou collatéral, le Régent ne dispose que des pouvoirs limitéset ses actes sont attribués au jeune roi qui les assume a posteriori. Le Régent, en droit, ne laisse aucune trace

L’affirmation duprincipe de continuitéde la Couronne, tant dans son volet d’instantanéité que dans celui de majorité, a des effets secondairesimportants sur l’évolution des institutions monarchiques. 
Tout d’abord, le sacrequi, jusque là, « faisait » véritablement les rois, perd son rôle légitimateur et ne devient guère qu’un symbolede la transmission du pouvoir à l’usage de l’opinion populaire. Désormais, la légitimité royalevient des lois fondamentales elles-mêmes. Celle de dévolution, d’indisponibilité et de continuité. Même si Jeanne d’Arc n'aura de cesse, jusqu'en 1429 d'appeler au sacre de son « gentil Dauphin », Charles VII, alors qu’il régne, en vertu du principe d’instantanéité, depuis 1422. C’est toute la distance entre le droit et la politique. Entre la fiction et le fait
Ensuite, le nouveau roi, en vertu de la transcendance de l’Etat, s’estime tenu des obligations contractées par son prédécesseur, si l’intérêt de l’Etat est en jeu. Il honore les traitéssignés, conserve les privilègesaccordés, car, en droit, ceux-ci l’ont été par la Couronne(ou le corps politique qui l’accompagne et la sert). On peut y voir l’ébauche de la notion administrative de « continuité du service public ». 
Enfin, en revanche, la question des dettesest restée longtemps en suspens, car leur prise en charge par le nouveau roi va à l’encontre de la théorie statutaire qui définit la succession à la Couronne comme simple et coutumière, et non pas héréditaire. Pourtant, l’usage monarchique sera de les honorer si elles ont servi à défendre les intérêts de l’Etat

Au terme de cette formulation des lois d’insdiponibilité et de continuité de la Couronne de France, on peut affirmer qu’autant dans leur contenu que dans leur application, elles dessinent les contours de l’Etat, au sens actuel du terme, réalité abstraite, transcendante, supérieure à tous ceux qui exercent le pouvoir politique en son nom.  Il ne reste plus qu’à couper le dernier lien qui rattache encore la monarchie à ses origines franques et à son passé féodal, en brisant la tradition de la patrimonialité du royaume et des terres qui le composent, qui deviennent inaliénables. 




Le Royaume n'appartient plus au roi



En ce qui concerne le domaine royal à la fin du Moyen-Âge, l’idée s’impose que le roi n’en est pas le propriétaire, car ce domaine royal appartient à la Couronne. Le roi n’est que « l’usufruitier responsable » (qui ne dispose que de  l’« usus » et du « fructus », mais pas de « l’abusus ») qui n’en a que la charge temporaire, le temps de son règne. Le roi a le droit d’en tirer des revenus, de le gérer, mais pas de l’abréger, ni d’en disposer. C’est un « capital » qu’il doit à tout prix conserver (éventuellement faire fructifier). En aucun cas, le roi n’a le droit de l’aliéner en tout ou partie. Ni à cause de mort (par testament), ni entre vifs (par donation ou vente). 
D’ailleurs, depuis 1364, le roi de France promet, au moment de son sacre, de n’aliéner « aucun fleuron » du domaine royal. Mais au-delà du principeet de sa reconnaissance législative (§ 1), il existe des exceptions(§ 2) imposées par la pratique, mais très règlementées.  
§ 1 – La reconnaissance de l’inaliénabilité du domaine royal. 

D’abord, de manière très classique, il y a les précédents. C’est au moment dusacredu roi Henri II en 1547que les juristes suggèrent, pour la première fois, que le roi devient l’époux de la Couronneet qu’en guise de dot, il reçoit d’elle le domaine royal. C’est l’apparition de la métaphore familialeet paternelle qui connaîtra une fortune considérable sous l’Ancien Régime (le roi est l’époux de la Couronne et le père de ses sujets). L’élément intéressant ici est que la dot a un régime juridique particulier. En droit romain(qui sert, par sa redécouverte au 12èmepuis au 16èmesiècles, à consolider l’Etat monarchique), la dot est inaliénable par le mari
Ainsi, par une nouvelle fiction juridique, est transposée en droit public, la notiond’inaliénabilité. La théorie du deux corps du roi vient consolider ce mécanisme de protection du domaine royal, puisque le corps politique du roi est l’époux perpétuel de la Couronne

Mais la référence principale est ici l’Edit de Moulinsde 1566, par lequel le roi Charles IXétablit la loi fondamentalerelative à l'inaliénabilité du domaine royal, sous sa forme juridique la plus achevée. Elle est d’ailleurs confirmée par une ordonnance de Bloisde 1579

Cet édit pose la distinction entre le domaine fixe et le domaine casuel.

1 - Le domaine fixeest strictement inaliénableet se compose de tous les droits et les biens de la Couronnetels qu'ils se présentaient à l'avènement du nouveau roi : « celui qui est expressement consacré, uni et incorporé à nostre couronne... » (art.2). Tout acte royal qui mentionnerait l'aliénation d'une partie du domaine fixe est réputé nul et inexistant: « Défendons à nos cours de parlemens et chambres des comptes d'avoir aucun égard aux lettres patentes contenans aliénation de notre domaine et fruit d'iceluy... » (art.5)

2 - Le domaine casuelest, quant à lui, aliénable. Il se compose de tous les biens acquis par le roi pendant les dix dernières années de règne: après dix ans, ces « acquêts » tombent irrévocablement dans le domaine fixe et ne sont plus aliénables : « ou qui a esté tenu et administré par nos receveurs et officiers l'espace de dix ans et est entré en ligne de compte. » (art.2)

§ 2 – Les exceptions au principe de l’inaliénabilité du domaine royal. 

Il y a principalement deux exceptions à l’inaliénabilité, qui s’avèrent, en fait, être moins de véritables exceptions, que des aménagements, laissant toujours la possibilité de rendre à nouveau inaliénable et de récupérer tout ce qui a été aliéné par nécessité. La première exception est relative au apanages, la seconde est imposée par les circonstances de la guerre : « Le domaine de notre couronne ne peut être aliéné qu'en deux cas seulement, l'un pour apanage des puisnés mâles, ...l'autre pour l'aliénation à deniers comptants pour nécessités de la guerre.. » (art.1)Des sanctions seront prises contre quiconque détiendrait une parcelle du domaine royal, hors les deux cas prévus(art.6).

1 - Le cas des apanages, qui consistent en l’aliénation d'une petite partie du domaine en faveur des frères puinés du roi
Mais, il s'agit d'un droit très règlementé et très limité: d'abord l'apanage ne représente qu'une petite partie de terres. Ensuite, il ne peut être transmis qu'en ligne directe, au fils aîné de l'apanagiste. En l’absence de fils, l'apanage est immédiatement réintégré au domaineroyal : « auquel il y a retour à nostre couronne par leur déceds sans mâles... » (art.1). De plus, si l'apanagiste en jouit librement, le roi exerce toujours les prérogatives de puissance publique sur les terres aliénées. Et l'apanage doit être rendu dans l'état dans lequel il a été donné: « en pareil estat et condition qu'était ledit domaine lors de la concession de l'apanage... » (art.1)

2 - Le cas de l'aliénation forçée : à cause des nécessités de la guerre. Elle n'est que tolérée et comporte toujours un droit perpétuel de reprisedes terres concernées : « auquel cas y a faculté de rachat perpétuel. »(art.1).

Il ne reste plus qu’à présenter la quatrième et dernière loi fondamentalequi, même si elle entre dans les règles de dévolution successorale(section 1) est traitée qu’en dernier, car elle est restée longtemps implicite, « innommée », en raison de l’absence de crise relative à son principe. La crise ne survient qu’à la fin du 16èmesiècle et est provoquée par l’essor du protestantisme. Il s’agit de la loi de catholicité, présente dans l’histoire de la monarchie française depuis le baptême de Cloviset réaffirmée par chaque sacre successif et par la présence constante de l’Egliseauprès du pouvoir royal. 



Cette loi de catholicité qui n'était pas nommée



§ 1 – Une loi « innomée » jusqu’au 16èmesiècle. 

Depuis Clovis, et surtout depuis Pépin-le-Bref, le roi de France, sacré, doit nécessairement faire profession de foi catholique. L’alliance entre la royauté et l’Eglise catholique est, comme vous le savez déjà, à la base de la monarchie française. Du « roi très chrétien » du 6èmesiècle, aux souverains absolusdu 16èmesiècle, c’est une tradition millénaireque ne s’est jamais démentie.Ainsi, en principe, un descendant de sang royal qui ne serait pas catholique, même s’il est légitime, ne devrait pas pouvoir monter sur le trône. La question ne se pose en ces termes que vers la fin de 16èmesiècle, après que l’universalismechrétien a été remis en cause par l’émergence du protestantisme

Le protestantismeapparaît au 16èmesiècle et procède d’une volonté forte de « réformer » l’Eglise d’Occident. Le but des « réformateurs » est de revenir à la la foi chrétienne des origines, qui est exempte de compromission de nature temporelle, renouer avec l’époque où le christianisme n’était qu’une religion et l’Eglise n’était pas une puissance politique. Les fondateurs du protestantisme sont l’allemand Martin Luther (1483 – 1546) qui publie le 31 octobre 1517ses « quatre-vingt-quinze thèses » destinées à assainir l’Eglise(il condamne ainsi la vente des « indulgences » qui permettaient d’échapper, contre de l’argent, aux peines « temporelles »), et le français Jean Calvin (1509 – 1564)qui, dans, l’Institution chrétienne, insiste sur le retour aux Ecritures sainteset aux textes des Pères de l’Eglise, en replaçant l’Eglise dans un rôle spirituel

Lutherest le véritable initiateurde La Réforme, mais c’est Calvinqui aura une influence considérable sur les protestants français, ces « huguenots », qui sont des « calvinistes» purs et durs. Car son Institution chrétiennequi paraît en 1536, et qu’il traduit lui-même en français en 1541, constitue le plus clair de tous les exposés de la nouvelle foi protestante. Même si la Réformeatteint la Francedès 1520, ses principes (le retour aux sources évangéliques) se diffusent surtout grâce à l’œuvre de Calvin, au sein du peuple et de la noblessejusqu’à atteindre les plus hauts degrés de la monarchie française. Cependant, tandis que le nombre de protestants s’accroît, les rois de France restent résolument catholiques, du moins jusqu’à la crise successoraleprovoquée par l’assassinat d’Henri III

§ 2 – La crise politique et religieuse à la fin du 16èmesiècle. 

Charles IX succède àson père Henri II en1560, après le règne éclair de son frère aîné, François II, qui meurt d’une mastoïdite (otite aiguë). Il n'a que dix ans. Sa mèreCatherine de Medicis, assure la régence. Il y a une faiblesse du pouvoir royal. Catherine s'appuie sur la Ligue catholiqueet sur la famille De Guise, chefs des Ligueurs. Mais, avec une grande intelligence politique, elle se rapproche aussi des chefs protestants, dont Louis de Bourbon, prince de Condé
âLe trône est pris entre deux groupes nobiliaires aux intérêts opposés.

Inquiète de la puissance des De Guise, Catherine accorde aux protestants une relative tolérance.  Mais, le massacre des protestants à Vassyen1562, par les De Guise et la Ligue marque le début des guerres de religion
âLe conflit s'européanise assez vite : France et Espagne catholiquescontre Allemagne et Angleterre protestantes.

En1572, Charles IXquia atteint sa majoritéet veut s'émanciper de sa mère, se rapproche de l'Amiral Coligny, l’un des chefshuguenotsqui se distingua lors des guerres menées sous François Ier et Henri II contre l'empereur Charles Quint. A ses côtés, Charles IXenvisage une  intervention militaire en Espagnecatholique. 

Pour tenter d’apaiser la situation, Catherine de Médicis organise lemariagede sa fille catholiqueMarguerite de Valois et de son cousin protestant, Henri de Navarre(descendant de Robert de Clermont, sixième fils de Saint-Louis), afin deréduire les dissensions entre catholiques et protestants. Mais, c’est un échecqui débouche sur le Massacre des protestants de la Saint-Barthélémy, le 24 août 1572.

Charles IX meurt en1574. Henri III, son frère et dernier fils d’Henri II, lui succède. Cependant, bien qu’il soit catholique, il est immédiatement contré par les ultra-catholiques qui se sont organisés en une Ligue, se massent autour des frères De Guise, dont notammentHenri, duc De Guise

âC'est le début de la guerre des « trois Henri » qui sont: Henri De Guise, Henri III, Henri de Navarre, qui à la suite du massacre de la Saint-Barthélémy est devenu le « leader » des protestants persécutés. 

Le 12 mai 1588, c'est la « Journée des Barricades »: Henri IIIest obligé de fuir Paris, qui accueille Henri de Guiseet tombe aux mains de la Ligue. De ce fait, Henri III se rapproche d'Henri de Navarre, son cousin protestant et de l'amiral Colignyqui avait soutenu son frère, Charles IX.

En septembre 1588, Henri III convoquelesEtats Générauxà Blois pour parvenir à un accord.Les Ligueurs cherchent à attirer le roi de leur côté. Pour désarmorcer les prétentions des catholiques, il prend lui-même la tête de la Ligue et, avec l'assentiment desEtats Généraux, il fait ajouter aux coutumes successorales de la Couronne, le principe de catholicité(ce principe est inscrit dans l'Edit d'Union de juillet 1588). Mais, de l'autre côté, les fidèles du roi, qui considèrent qu’il se compromet avec la Ligue, décident d’agir. Réunis dans« le Groupe des Quarante-cinq », ils assassinentle 23 décembre 1588,à Blois,leDuc Henri De Guise, chef des Ligueurs.

âLa rupture entre la Ligue et la pouvoir royalest alors définitive.

Henri III se rapproche encored'Henri de Navarrequ'il espère désormais désigner comme successeur, malgré l'opposition farouche de la ville de Paris aux mains des ultras.

Le 1er août 1589, un moine fanatique, le dominicain Jacques Clément, assassine Henri III à Saint-Cloud. Juste avant de mourir, désigne formellement Henri de Navarrecomme son successeur.

Dès la mort d'Henri III, les ultras-catholiques de la Ligue proclament roi Charles X, le cardinal de Bourbon, l’oncle d'Henri de Navarre, catholiqueet, après Henri de Navarre, le plus proche parent du roi

C'est une entorse formelle de la loi de masculinité dans son volet de collatéralité: le plus proche parent du roi et donc le successeur légitime, c'est Henri de Navarre. Cette entorse à la loi « salique », devient une violation flagranteaprès la mort du cardinal de Bourbon en1590, lorsque les Ligueurs, qui doivent se trouver un nouveau candidat, au nom d'un principe de catholicité qui serait supérieur à tout autre loi fondamentale, prétendent placer sur le trône Claire-Isabelle d'Espagne, fille de Philippe II d'Espagne, petite-fille de Henri II(père de Charles IX) par sa mère. Les Ligueursoccultent ainsi, au nom de la catholicité, les principes de masculinité(exclusion des femmes et des parents par les femmes), de collatéralité(éviction d’Henri de Navarre) et même celui de nationalitédu roi de France, puisque la princesse est espagnole. 

La réaction du Parlement de Parisest immédiate. Les parlementaires rappellent dans un arrêt historique, l’arrêt « Lemaistre », qui date du 28 juin 1593,que l'on ne peut porter atteinte aux lois fondamentales.Ni, de surcroît établir un ordre de priorité dans le respect d’icelles. Toutes sont nécessaires

L’arrêt du Parlement déclare les prétentions des Ligueurs irrecevables, et, quant à Henri de Navarre, s'il est le successeur légitime, son protestantismel'empèche de monter sur le trône. S’il veut succéder à Henri III, il devra faire profession de foi catholique.

Le message est bien compris : Henri de Navarre abjure sa foi protestante, se convertit au catholiscisme et monte sur le trôneen 1594, devenant Henri IV. Quelques années plus tard, en 1598, il promulguera l’Edit de Nantesqui, en attribuant la liberté de culte aux protestants, mettra fin aux guerres de religion. Il ne sera révoqué qu’en 1685par l’Edit de Fontainebleau, pris par Louis XIVqui cherchera à renforcer l’unité territoriale par l’unité religieuse. 

§ 3 – La consécration des lois fondamentales. 

L'assassinat d'Henri III crée un conflit entre deux lois fondamentales, celle de masculinitéet celle de catholicitédu roi. Ce conflit sera résolu, par l’Arrêt Lemaistredu Parlement de Paris, qui date du 28 juin 1593 qui, pour enrayer une utilisation « politicienne » des grands principes coutumiers qui régissent la Couronne, fixe le régime juridique des lois fondamentaleslorsque celles-ci sont en opposition.
En substance, l'arrêtaffirme qu'il ne peut y avoir de hiérarchisation entre les lois fondamentales du royaume et que « la salique » et « la catholique » sont également intangibles : « que les lois fondamentales soient gardées... »
L'arrêt ôte donc toute légitimité aux prétentions des Ligueursqui voulaient placer une femmecatholique sur le trône de France, appuyés par la puissance espagnole : « empécher que sous prétexte de la religion, la Couronne ne soit tranférée en mains étrangères (L'Espagne)contre les lois du royaume... », mais rappelle aussi à Henri de Navarreque s'il est le successeur légitime selon la loi salique (à savoir le plus proche parent mâle d'Henri III), il ne peut devenir roi que s'il se convertit au catholicisme:« un bon roi très chrétien, catholique et françois... »

Á la suite de cet arrêt du Parlement de Paris, Henri de Navarrese convertit au catholicisme et se fait couronner roi en 1594. Cet épisode sanglant, tragique, de l’histoire de France a servi à démontrer l’étroite connexité qui relie toutes les lois fondamentales entre elles. Elle forment un ensemble dont le respect est également impératif, en somme, une constitution.

















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